Dieu aime l’innocence et nous la restitue

Publié le 28 Oct 2016
Dieu aime l’innocence et nous la restitue L'Homme Nouveau

Une oraison liturgique du Carême est introduite par la formule, Deus innocentiæ restitutor et amator (forme ordinaire, 2e jeudi ; forme extraordinaire, super populum, 2e mercredi). L’innocence vient de Dieu, puis en retour elle nous oriente à l’union à Dieu. Sa pureté est intangible, nul ne peut y toucher et demeurer vivant comme le lévite Uzza qui tenta de retenir l’Arche d’alliance menaçant de chavirer ; nul ne peut « aider » Dieu dans sa pureté. Néanmoins, cette pureté intangible touche du doigt, prend en main ceux qui en ont le saint et humble désir. Alors, il touche par le dedans, par l’intime, par le cœur, créant en nous la prière « vraie » dont parle Mère Teresa, cette super-active qui est d’abord une hyper-contemplative. En effet, l’Esprit-Saint conçoit alors en sa créature un agir tout divin, Il féconde toute la vie morale, la vie toute entière, devenue un décalque de celle de l’éternité. Thérèse de Lisieux disait, peu avant de mourir, qu’elle ne voyait pas ce qu’elle aurait de différent après sa mort, toute imprégnée d’amour divin comme elle était.

L’oraison de Carême vante en cette âme pétrie d’innocence divine la stabilité de la foi et l’efficacité de l’agir, in fide stabilis, in opere efficax. Cette « efficacité » est ici une marque du divin ; elle ne relève en rien d’un utilitarisme vulgaire, qui fait s’agiter fiévreusement un univers sans métaphysique. Chez Dieu, être et agir vont de pair, c’est tout un. Chez nous, ils sont disjoints : « être » et « agir » ne peuvent s’identifier. Notre « être », en effet, n’épuise en rien l’Être, nous « sommes » comme du bout de l’Être, comme on dit « du bout des lèvres », nous « sommes » de façon fragmentaire, inscrits dans la durée qui efface l’instant précédent sans étreindre encore l’instant suivant. L’instant présent nous met seul en contact avec Dieu, héritant du passé et préparant l’avenir ; notre « être » ressemble à l’enfant se mettant sur la pointe des pieds pour agir, pour grandir. Mais notre agir dit à sa façon notre impuissance à épuiser notre existence tout d’un coup, et en même temps, notre « faire » dit pourtant notre désir vers une plénitude d’être, il vise le plus-être en tension charmante vers l’Être divin, comme l’enfant sur la pointe de ses pieds veut embrasser et être embrassé.

Dans sa lettre fictive à Mark Twain, le cardinal Luciani (futur Jean-Paul Ier) lui attribue cette plaisante parabole : « Prenez un Monsieur Jean quelconque. En lui, il y a un Jean premier, c’est-à-dire l’homme qu’il croit être ; il y a un Jean deux, celui que les autres pensent qu’il est ; et finalement un Jean trois, celui qu’il est en réalité » (Humblement vôtre, p. 10). Le paraître s’introduit en nous pour faire grimacer à la fois l’être et l’agir. Avec un ancien, le pape Luciani compare le paraître à la limace :

La limace menue de la vaine gloire,
Se glissa jusqu’au faîte d’un haut obélisque,
Et dit, contemplant sa bave lisse, que
Sa trace resterait tout au long de l’histoire
(idem, p. 11).

Le paraître nous fait échapper à l’emprise de Dieu, il entrave l’enfant que nous sommes pourtant appelés à redevenir pour adhérer à son Royaume. Le vrai critère ici, c’est l’humilité, et non pas le qu’en-dira-t-on. L’humilité maintient dans la vérité de l’être reçu de Dieu pour grandir jusqu’à Lui. Elle seule fait échapper à l’illusion du paraître, ce mensonge existentiel en tant que coquetterie du faux-être.

Ami lecteur, si tu m’as suivi jusqu’ici, et si tu as en main le livre du cardinal Sarah, La force du silence, je te conseille vivement de lire la conversation qu’eut Mère Teresa en 1969 avec le futur cardinal Comastri, peu après son ordination (p. 6ss, N° 55). Que l’Immaculée nous fasse aimer l’innocence et l’humilité ou, en d’autres termes, nous fasse goûter la prière vraie qui est le sommet de l’agir.

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