Prêtre de la Fraternité Saint-Thomas Becket, l’abbé Aymeric Mehrkens connaît bien la jeunesse qu’il accompagne depuis des années à travers aumôneries, camps et missions d’évangélisation. Fort de cette expérience, il signe Dieu existe… ou pas ?, un livre incisif et accessible pour répondre aux questions des lycéens sur la foi, la raison et l’existence de Dieu. Entretien.
| Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Il existe de nombreux catéchismes destinés aux enfants croyants pour les aider à progresser dans la foi chrétienne, mais très peu adaptés aux adolescents qui n’ont jamais été initiés à la foi et n’en sont pas encore à demander à être enseignés des vérités de la foi de façon systématique. Viennent de paraître des catéchismes pour jeunes adultes qui découvrent tout, mais il n’y a pas à ma connaissance de livre d’apologétique pour lycéens non convaincus.
Mon expérience d’aumônier, où j’interviens face à des classes entières et pas seulement auprès de ceux qui choisissent le catéchisme, m’a confronté à une réalité frappante : la plupart des jeunes issus de la tradition chrétienne sont indifférents ou apostats de fait. Seuls les musulmans réagissent avec assurance. Chez ces jeunes Français, deux objections majeures reviennent constamment : « Je crois en la science, donc la religion ne m’intéresse pas » et « Les religions sont sources de violence, l’Église a brûlé Galilée ». Ce qui m’a frappé, c’est que la question de Dieu était tout simplement absente de leur monde.
Il y a un échec dans la transmission de la foi. Grâce à Dieu un gros effort est fourni pour catéchiser ceux qui y sont déjà favorables, et c’est irremplaçable, mais il faut également atteindre ceux qui ne se posent même pas la question de Dieu, qui sont l’immense majorité. Autrefois, les enfants venaient au catéchisme parce que la chrétienté était un cadre porteur : faim ou pas faim on se retrouvait avec une nourriture consistante à disposition. Aujourd’hui, l’évangélisateur doit capter leur attention, leur donner envie de s’intéresser au sujet et il est en concurrence déloyale avec un tas d’autres « activités ». Il faut aussi toucher leurs parents, puisque, quand ils ne s’opposent pas à la foi, leur résistance passive demande au jeune une audace que peu sont à même d’avoir. Tout le monde n’est pas Carlo Acutis.
| À quel public s’adresse ce livre en priorité ?
Il vise d’abord les agnostiques, c’est-à-dire ceux qui se disent « sans religion » sans toujours comprendre ce que cela signifie, ou ceux qui sont éloignés de la foi mais pourraient être curieux. Il s’adresse aussi aux jeunes catholiques qui, bien souvent, ne sont ni formés ni combatifs. Ils doivent se poser les bonnes questions, sinon leur foi vacille au premier contact avec un interlocuteur sceptique. Ils doivent également apprendre à répondre et à structurer leur foi de manière intelligente. Vous savez, beaucoup abandonnent la foi à l’adolescence parce qu’on leur propose de colorier des images de Jésus au moment où ils résolvent des équations au second degré en classe ! On ne leur propose rien de véritablement intellectuel. Il y a un déficit flagrant d’enseignement des grandes questions fondamentales.
| Pourquoi avoir adopté un ton simple et humoristique ?
Je voulais que ce livre puisse être lu par tous les élèves d’une classe d’aujourd’hui, y compris par celui qui ne pense qu’à lancer des fléchettes au plafond. Il fallait qu’il soit très accessible, court et direct, car les jeunes lisent peu. Ce livre n’est pas suffisant pour les très rares lycéens qui ont encore une formation théologique au lycée (et pas seulement une aumônerie où l’on prie et fait des activités, où on a la messe et un top par-ci par-là), mais il peut être un tremplin vers quelque chose de plus solide.
L’apologétique de mon confrère l’abbé Vincent Pinilla, par exemple, est d’un niveau vraiment universitaire, avec des notes de bas de page, si vous voyez ce que je veux dire. Ce n’était pas mon objectif. Mon approche est plus directe, et j’espère n’agacer personne avec les tournures qui relèvent parfois plus du langage parlé de la cour d’école…
J’ai choisi un ton taquin parce que je m’adresse à un âge qui aime la provocation. Si on ne les interpelle pas, ils ne s’intéressent pas au sujet. Savez-vous que la plupart des jeunes Français ne demandent rien à l’Église, comme on l’a vu lors du sondage mené pendant le synode sur les jeunes ? Il faut aller les chercher, les titiller, les amener à réfléchir et ouvrir leur cœur.
| Comment avez-vous structuré votre réflexion dans ce livre ?
Je commence par définir quelques termes et invite à faire usage de la raison. Nous vivons dans un monde d’émotions, je montre que ce n’est pas suffisant puisque la foi doit s’appuyer sur la raison, selon la logique chrétienne de fides et ratio (foi et raison). Ensuite, le livre démonte les faux arguments et établit la distinction entre ce qui relève de la foi et ce qui n’en relève pas. Puis viennent les raisons de croire, en alignant une batterie de preuves et d’indices, non exhaustifs mais parlants. Et je termine par la question du mal et bien sûr la question de la vie personnelle du lecteur : L’acte de foi ne repose pas uniquement sur la raison, c’est d’abord une grâce, et à un moment donné, il faut poser un acte volontaire, un choix libre : croire ou ne pas croire, répondre ou ne pas répondre au Seigneur.
Sur la forme, le livre est ponctué de petites histoires faciles à lire et illustré par des dessins réalisés par un garçon supposé être du même âge que le lecteur puisqu’il a dessiné alors qu’il passait du collège au lycée.
| Quelle est l’histoire derrière ce livre ?
Je l’ai écrit il y a longtemps, pendant le confinement, mais je n’avais jamais eu le temps de l’éditer jusqu’à un changement de lieu d’apostolat. Je suis heureux que ce livre démarre bien mais il est vraiment sans prétention, ce n’est pas un manuel, mais un outil d’évangélisation. Il vise à amorcer une conversion.
L’idée est de faire respirer Dieu à une génération où il est le grand absent. Les enfants de mai 68 n’ont pas reçu la foi vivante et les petits-enfants n’ont même plus la référence chrétienne. Cette année, dans une classe, sur les douze qui ont choisi de suivre le catéchisme, un seul « savait » ce qu’était le Carême… et il l’a appelé « le ramadan chrétien », le seul qui connaissait également le nom d’un prophète, mais ce n’était pas un de ceux que j’attendais… La référence spirituelle dominante est souvent l’islam, même dans des établissements avec très peu de musulmans, parce qu’elle est omniprésente dans la culture des jeunes (réseaux tels que Tik-tok) très influencée par le « RAP » et ses dérivés contemporains. Ce livre est donc une tentative de remettre Dieu dans l’univers mental des jeunes.
| S’il y avait une seule chose à retenir de ce livre, quelle serait-elle ?
La foi est vitale mais inconfortable. Il n’y a pas d’échappatoire : c’est Dieu ou rien. Nous avons suffisamment de signes pour faire le pas et croire en Dieu.
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