L’église synodale est-elle en rupture avec l’Église Catholique ?

Publié le 09 Oct 2023
François synode concile
L’Union Lex Orandi a publié récemment une analyse de l’Instrumentum Laboris. Entretien avec le président de ce collectif, Philippe Darantière, qui est expert en gestion de crise et intelligence économique, et un catholique engagé.

 

Votre collectif vient de publier un guide de lecture de l’Instrumentum Laboris (IL), l’outil de travail, destiné à la première session du Synode. En quoi cela vous paraissait-il nécessaire et à qui est-il destiné ?

Il a nous a semblé nécessaire qu’un travail collaboratif soit mené pour essayer de dégager les aspects les plus problématiques du processus synodal. L’intention était de pouvoir le communiquer aux évêques français – Mgr Joly, Mgr Eychenne, Mgr Rougé et Mgr Bertrand- élus par la Conférence des évêques de France pour assister à la première session plénière à Rome. Nous avons donc envoyé un exemplaire aux quatre évêques français et à Mgr Aveline, invités par le Pape. Nous avons choisi de nous adresser exclusivement aux évêques et non pas aux autres personnalités invitées au synode, même ayant le droit de vote, car étant les successeurs des apôtres c’est à eux que revient la charge d’exprimer la foi traditionnelle de l’Eglise.   

Ce guide de lecture est également mis à la disposition des membres du clergé, des religieux mais aussi des fidèles. De nombreuses personnes ont été surprises en juin dernier, au moment de la publication du document, et la presse a rapidement réagit comme Jean-Marie Guénois pointant dans Le Figaro les propositions les plus radicales émises dans l’IL. Ces propositions s’avèrent d’ailleurs être plus une direction imposée qu’une série d’interrogations et portent davantage sur le « comment faire » plutôt que sur la justification ou bien la cohérence avec le magistère traditionnel de l’Eglise.

 

Vous dites que « l’IL ne reprend pas la tradition des synodes ». En quoi se différencie-t-il ?

L’articulation du processus synodal en étapes diocésaines, nationales puis continentales pour aboutir à l’Assemblée générale en deux sessions en 2023 et 2024 est une première différence. La nouvelle composition de cette assemblée synodale comprenant aujourd’hui « non-évêques » avec droit de vote, soit des membres du clergé, des religieux et des laïcs, s’oppose par ailleurs au principe même d’un synode d’évêques érigé par Paul VI dans Apostolica sollicitudo (Motu proprio de 1965) et confirmé sous Jean-Paul II dans le code de droit canon de 1983.

En outre, les synodes tels qu’ils ont été conçus jusqu’à présent avaient pour objet de traiter d’une question doctrinale ou pastorale, alors que celui-ci se donne pour mission de restructurer entièrement l’Église pour la transformer en une église synodale.  

 

L’objet même de ce Synode représente-t-il donc une rupture avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise ?

Oui, l’Église a une constitution hiérarchique instituée par le Christ lui-même lorsqu’il a confié à saint Pierre son église. Il a confié aux apôtres et à leurs successeurs des missions précises, en particulier celle de perpétuer les sacrements qu’il avait institués. Les propositions faites dans l’IL sur une église venant du bas, avec une hiérarchie devant être apprenante du peuple de Dieu renversent complètement l’ordre hiérarchique qui est pourtant de source divine.  

 

Le terme « synodalité » est omniprésent dans les documents officiels. Comment le définiriez-vous et que révèle-t-il du processus synodal ?

Dans le terme de synodalité, utilisé plus de 100 fois dans l’IL, il y a plusieurs aspects ambigus. Le terme existe depuis longtemps, et dans la plus haute antiquité les synodes avaient une fonction quasi équivalente à celle des conciles. Dans les premiers siècles de l’Église, les deux termes étaient utilisés pour une même réalité. Les églises orientales ont d’ailleurs gardé une structure synodale. Pour l’Église latine l’évolution s’est faite de façon différente avec des conciles généraux et des conciles à vocation œcuméniques, plus espacés dans le temps.

Il y a dans le Synode actuel, la reprise d’une perspective globale échappant à la structure établie par Paul VI. Il s’agit de faire reposer l’Église catholique sur le principe d’un fonctionnement synodal. Cette configuration intègre dorénavant le peuple des baptisés, la terminologie est donc abusive car historiquement aucun synode n’a été constitué par les fidèles eux-mêmes. Seule la hiérarchie de l’Église était réunie en Synode.  

 

La « conversation dans l’esprit » est la nouvelle méthode de discussion du Synode. Elle vous semble inspirée de ce qu’on appelle la « dynamique des groupes ». Quel est ce procédé et quels en sont les risques ?

Il y a effectivement dans cette méthode des aspects très troublants. Elle est censée permettre au Synode de « se déployer » mais elle peut exercer une forme de pression sur les participants. Le processus permet à chacun de s’exprimer librement, et tous doivent accueillir en silence sans émettre de jugement ou bien débattre. Ensuite, un autre tour de table consiste à faire s’exprimer les participants sur ce qu’ils ont retenus des différentes interventions, tout ceci étant destiné à aboutir à un consensus. L’orientation générale de ces discussions est celle du changement collectif.

Une expression dans l’IL dit bien que s’il n’y a aucun pas en avant dans une direction précise, souvent inattendue, menant à une action concrète, il ne s’agira pas d’une conversation dans l’Esprit. Ils décrètent, à la place de l’Esprit Saint avant même qu’il se soit manifesté, que le critère de sa présence dans les débats est l’action, la transformation. Il n’est pourtant pas du tout acquis que l’Esprit Saint ait pu provoquer ce changement.  

Ensuite, il y a des mécanismes psycho-sociaux mis en œuvre s’apparentant aux techniques de dynamiques de groupes mises en relief par le psychologue américain Kurt Lewin (1890-1947). Ce sont des techniques visant à influencer le fonctionnement d’un groupe social. L’enjeu est de promouvoir des changements selon une méthode non directive, diminuant les résistances. Il repose sur notamment des effets de conformité. Face à la difficulté de défendre un point de vue divergent de celui du groupe, l’effet de conformité agit par la recherche de sécurité de l’individu, qui finit par se conformer à l’opinion générale émise plutôt que de risquer le rejet du groupe .  

Même s’il y a ce présupposé de l’action de l’Esprit Saint dans une assemblée de membres de l’Église, ce qui est en soi parfaitement louable, il ne faut pas oublier l’exemple de saint Athanase (296-373). Ce Patriarche d’Alexandrie a fait l’objet de trois condamnations d’assemblées d’évêques sous l’influence de l’arianisme alors que lui-même était champion de l’orthodoxie de la foi catholique. Un seul avait raison contre tous. Le processus synodal, avec ou sans conversation dans l’Esprit, n’est donc pas le gage d’un magistère authentique.  

 

Vous mentionnez un effet « Janis » dans votre guide de lecture, c’est-à-dire un comportement par lequel des individus se rallient à la position d’un collectif indépendamment de leur propre opinion, qui pourrait avoir lieu lors des discussions à Rome pendant cette Assemblée générale. En quoi la nouvelle composition du Synode provoquerait-elle une telle réaction ?

Les psychosociologues ont observé ce mécanisme de groupe permettant de construire la signification des échanges qui s’opèrent et qui sont des échanges cognitifs. Or ces derniers contiennent du verbal et du non-verbal, c’est-à-dire un contexte, des jeux de positions. Toutes ces dimensions constituent des objets de l’échange en termes de communication. Dès lors qu’on mélange les évêques successeurs des apôtres, à des « non-évêques », des religieux et des laïcs, se crée un brouillage complet de la situation dénaturant la capacité à construire un sens commun et des références communes. Le groupe peut donc être sujet à toutes les manipulations possibles.  

 

Votre analyse repose finalement davantage sur les mécanismes naturels que sur les questions doctrinales. Pourquoi avoir choisi cet angle ?

Cela n’avait pas été réellement fait ailleurs. Un certain nombre de commentaires a été fait sur les innovations doctrinales dans l’IL mais rien ne ressortait sur la méthodologie employée. Or, elle pose un certain nombre de questions. Comme, par exemple, cet effet de lissage des aspérités constaté entre les différentes étapes synodales, concernant des points qui avaient suscité davantage de critiques de la part des Conférences épiscopales réunies lors de l’étape continentale. Les restrictions apportées par le Pape à la liturgie traditionnelle, ou encore l’impossible reconnaissance des pratiques homosexuelles par l’Eglise, ont par exemple fait l’objet de débat qui ont quasi disparu de l’IL.

Le fait que les évêques soient placés par groupes linguistiques pour cette première session à Rome, ne pouvant travailler chacun que sur une infime partie du document pose également problème. Les synthèses ne seront faites que par le secrétariat du Synode, et les débats resteront sous le régime du secret pontifical. Autant dire qu’il sera difficile de savoir si ces synthèses reflèteront bien la vérité des positions exprimées…  

 

Cette méthodologie a-t-elle un lien avec les influences marxistes que vous dénoncez ? 

Un certain nombre de termes et de définitions sont inspirés de la théologie du peuple, qui est une approche plus générale de la théologie de la libération. Cette théologie s’appuie exclusivement sur Vatican II, niant la Tradition de l’Église, mettant l’accent en particulier sur le ministère baptismal. La théologie du peuple s’est donc saisie de cette intuition conciliaire de l’existence d’un ministère baptismal, tout baptisé exerçant un ministère dans l’Église, pour renverser la hiérarchie. Il appartiendrait donc au peuple de Dieu d’enseigner la hiérarchie. Ce peuple de Dieu, tel qu’il est défini, est un détournement du sensu fidei traditionnel, et se retrouve doté d’une forme infaillibilité.

L’IL insiste également sur le fait que certaines catégories comme les femmes, les personnes homosexuelles, les divorcés-remariés voire même les polygames seraient plus spécifiquement dignes d’écoute, comme s’ils étaient de soi dotés de cette infaillibilité. Ce processus s’appuie en quelques sortes sur la primauté des « minorités agissantes ».  

Toute la dynamique mise en œuvre au sein du Synode mise au service du changement peut être comparée avec les principes de la dialectique marxiste. Cette dernière se donne pour objectif, en s’appuyant sur les contradictions internes à une situation qu’il s’agit de dénoncer, de libérer des énergies qui s’inscrivent dans une logique de rapport de force (la lutte des classes) et qui vont donc produire une situation nouvelle. Dans l’IL, les expressions utilisées reprennent le vocabulaire marxiste, comme la capacité à remettre en question le magistère au motif simplement que les questions auraient émergées lors des discussions.

Dans une vision traditionnelle, l’Église est la gardienne de la Révélation et la Tradition apostolique. Le travail du Magistère ne fait que découvrir peu à peu ce qui est déjà contenu dans la Révélation. Lorsque cela a été découvert, mis à jour, l’Église se fait enseignante par l’expression d’un Magistère auquel les fidèles doivent donner leur assentiment. Dans ce Synode, le simple fait que des questions émergent, même s’il existe déjà un développement magistériel, justifie une remise en question car il est le signe d’un changement de réalité. Cette notion est évidemment marxiste.  

 

Cette église synodale, telle qu’elle est définie, est-elle donc en rupture avec l’Église catholique ?

Oui, elle est en rupture à l’égard de la hiérarchie instituée, du sacerdoce ministériel, de la discipline des sacrements ou de points de morale de la plus ancienne doctrine catholique. Il faut quand même se rappeler que la condamnation de l’homosexualité est dans l’épître aux romains de saint Paul. Il y a un phénomène de rupture extrêmement net et préoccupant.  

 

À quoi cela peut-il bien aboutir ?

Cette première session qui se tient à Rome ce mois-ci va produire un document d’étape, repris ensuite dans un an après avoir été « filtré » par le secrétariat du Synode. Cette session d’octobre 2024 sera destinée à proposer des pistes d’actions concrètes que le Pape choisira de suivre, s’il le souhaite, dans une exhortation apostolique ou bien une encyclique.

Mais dans le document descriptif du processus synodal, cette étape de confirmation par le Pape lui-même n’est même pas mentionnée. Il est simplement dit « qu’après 2025, l’Église continue de mettre en œuvre la synodalité ». Le Pape n’aurait même pas à s’exprimer sur les propositions qui seront faites ? En pratique, que pourra-t-il donc bien se passer ? Le Saint-Père pourrait décider de prendre le contre-pied comme lors du Synode de l’Amazonie où il n’a pas suivi les votes des participants qui avaient par exemple décidé d’entériner l’ordination des hommes mariés ou bien l’inculturation des rites traditionnels dans la foi catholique.

Il y a également de l’inertie dans cette structure divine mais aussi humaine qu’est l’Église. Issus d’un processus de 3-4 ans, de tels changements mettront du temps à être adoptés et ne les seront qu’en partie, tant il est peu vraisemblable qu’ils le soient à l’unanimité. Il risque d’y avoir une Église à deux vitesses, certains adoptant les innovations synodales et les autres continuant de vivre une vie de foi catholique plus traditionnelle.  

Dans tous les cas, il faut faire confiance à l’Esprit Saint à l’œuvre dans l’Église, et si la Providence divine a voulu que nous soyons parmi ceux qui vivent cette situation préoccupante, elle nous donnera également la grâce pour la vivre dans l’esprit véritable et authentique du Christ.

 

>> à lire également : Notre-Dame du Saint Rosaire : L’arme du chrétien

Maitena Urbistondoy

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