Ce lundi 15 avril 2019, nous avons bien cru que nous allions la perdre. Lorsque, dans la nuit tombante, les flammes qui venaient de dévorer la flèche et rongeaient ses toitures transformées en brasier incandescent évoquant les gouffres infernaux ont soudain jailli dans le beffroi nord, un instant, ravagés, nous avons pensé qu’elle allait s’effondrer.
L’impensable, le scénario catastrophe que, curieusement, l’officier de sapeurs pompiers dissimulé sous le pseudonyme de Capitaine Caval avait imaginé voilà deux ans dans son inquiétant roman Feu sacré (Via romana), était en train de se produire. Et nous étions là, impuissants, devant nos écrans, à regarder notre histoire s’en aller en fumée et à pleurer.
Aux dernières années du règne de Louis XIV, le poète anonyme qui écrivit cette chanson que, depuis, tous les enfants de France ont chanté, Auprès de ma blonde, faisait dire à la jeune épouse dont le mari soldat était prisonnier « dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris », que, pour le revoir, elle « donnerait Versailles, Paris et Saint-Denis, les tours de Notre-Dame, le clocher de son pays ».
Soudain, nous comprenions que non, pour rien au monde, pas même la liberté d’un bien-aimé, nous ne pouvions donner ce qui ne nous appartenait pas, ce patrimoine sacré, témoin de notre passé, de la foi et de la grandeur de nos aïeux, pas plus l’humble clocher de notre paroisse que le palais de nos rois, leur nécropole ou ces tours de Notre-Dame en train de brûler …
La seule idée que ces pierres, vieilles de 856 ans, inscrites depuis si longtemps dans le paysage de la capitale et dans notre paysage intime, debout, malgré tous les malheurs, tous les désastres qui s’étaient abattus sur la France, et devant lesquelles, il faut bien le dire, nous passions sans les voir à force d’habitude, pussent, demain, avoir disparu, était intolérable. Il ne restait que les yeux pour pleurer, et la prière.
Alors, spontanément, la prière a jailli à travers toute la France, et même à travers le monde. Des amis m’envoyaient des courriels désolés d’Amérique, le cardinal Burke invoquait le secours de Jeanne d’Arc, de saint Louis et saint Florian, ce martyr de la Légion thébaine qui, outre-Atlantique, protège des incendies comme chez nous Barbe et Laurent.
L’incroyable était en train d’arriver, et plus incroyable encore, les Français recouvraient la foi pour conjurer le Ciel d’avoir pitié et d’épargner cette cathédrale qui redevenait le cœur et l’âme de la nation.
Et le Ciel a entendu. Il ne fait aucun doute que l’héroïsme des sapeurs pompiers de Paris, qui ont pris tous les risques pour défendre pied à pied l’édifice menacé, a sauvé Notre-Dame, toujours debout malgré les dégâts, mais peut-être faut-il s’interroger, dut-on s’attirer les ricanements des esprits forts, voire de certains clercs qui craignent de prêter à dérision et finissent par avoir peur de certains mots, certains signes, refusant de voir la grâce quand elle se manifeste, sur les événements.
Faut-il tenir pour rien le geste de l’aumônier des pompiers, le Père Fournier, entré au cœur du brasier afin de récupérer la réserve eucharistique dans le tabernacle, ainsi que la Sainte Couronne et les reliques de la Passion, qui, spontanément, voyant l’incendie s’étendre, a brandi le ciboire au-dessus du brasier, dans la certitude qu’il tenait entre ses mains consacrées Celui qui commande aux éléments déchaînés, et pouvait, seul, en effet, arrêter le feu ?
Faut-il tenir pour rien cette chaîne immense de prière spontanée qui jaillissait parmi les larmes des âmes brisées de désolation ? N’a-t-on pas le droit de croire que ces larmes ont fait autant, sinon plus, que les lances à eau, pour éteindre les flammes et que l’on doit à ces milliers d’Ave Maria non seulement la sauvegarde de l’essentiel de la cathédrale et de ses trésors, mais aussi le fait, quasi miraculeux, qu’aucun des pompiers engagés sur l’incendie, en dépit du danger, n’ait été blessé sérieusement ou n’ait perdu la vie en luttant pour sauver Notre-Dame ?
Enfin, ne faudrait-il pas se souvenir, en contemplant, quand nous pensions ne plus jamais les revoir, la nef indemne, les chapelles épargnées, les vitraux intacts, les tours dressées sur le parvis, et même ce coq reliquaire de la flèche retrouvé, au terme d’un vol improbable, loin du brasier où, logiquement, il eût dû s’abîmer et fondre, de ce que nos ancêtres bâtisseurs, en un temps plus sage que le nôtre, savaient bien, et c’est que nos églises, nos chapelles, nos cathédrales sont placées, par la volonté de Dieu, tout comme nous, sous la protection des anges.
Selon l’enseignement de l’Église, quand Elle ne craignait pas de parler des esprits bienheureux, chaque sanctuaire possède autant d’anges gardiens qu’il compte d’autels et de cloches. Au Moyen Age, l’usage était de placer les tours des cathédrales sous l’invocation des Archanges Michel, Gabriel, Raphaël et Uriel, ce quatrième qui fut banni des prières sous Charlemagne parce que son nom ne figurait pas dans la Bible.
Notre-Dame n’a que deux tours, logiquement placées sous la garde du Prince de la Milice céleste et sous celle de l’Ange de l’Annonciation. Par un curieux « hasard », l’officier qui commandait les opérations se prénomme, justement, Gabriel … et c’est place Saint-Michel que les Parisiens accourus s’étaient rassemblés pour prier.
Alors, les deux Archanges s’envolèrent de la Cour céleste et descendirent planer au dessus du brasier, tandis que les anges des autels, dans leurs chapelles respectives, chacun à sa place, tenaient vaillamment leur rôle de protecteurs, empêchant l’un une rosace d’éclater, un autre un pan de la voûte de s’écrouler sur l’autel, un autre encore la merveilleuse statue de Notre-Dame du Seuil de tomber tandis qu’un téméraire rattrapait au vol le coq contenant l’une des saintes épines et qu’un autre éventait de ses ailes le grand orgue …
Quand le jour se leva, ils avaient sauvé les biens et les personnes, eux aussi. Mais nul ne s’en était aperçu et nul ne s’avisa de les remercier.
Riez tant que vous voulez, si le cœur vous en dit, de cette explication, mais, de grâce, si vous croyez aux anges gardiens, remerciez ceux de Notre-Dame d’avoir si bien fait leur travail et que cet incendie dont le sens symbolique, tel un ultime avertissement céleste, ne peut échapper qu’à ceux qui ne veulent rien voir ni entendre, soit signe d’espérance, non de désespoir.
« Français, mon église tombe en ruines ! »
Saurons-nous comprendre que la restauration matérielle, tant souhaitée, ne sera rien si nous ne relevons d’abord dans les âmes de nos compatriotes, et dans les nôtres, le temple spirituel peut-être moins détruit, lui aussi, qu’il était loisible de le craindre ?