Législatives : « Il faut exorciser l’âme de la France »

Publié le 28 Juin 2024
âme France
À la suite à la dissolution surprise de l’Assemblée nationale en France, Michel Collin, Professeur agrégé de philosophie,  revient sur l’épisode de la constitutionnalisation de l’avortement qui a marqué d’une tache indélébile la France et la législature qui s’achève. Il montre combien cette modification de la Constitution dévoile la nature du régime actuel et son lien intime avec ses origines historiques révolutionnaires. 

 

Alors que les Français s’apprêtent à élire leurs députés à l’Assemblée nationale, il n’est pas sans intérêt de revenir sur un des épisodes les plus sombres et en même temps les plus significatif de la XVIe législature qui s’est achevée par sa dissolution, je veux parler de son rôle déterminant dans la constitutionnalisation de l’avortement lors du Congrès du 4 mars dernier. Dans le tumulte des passions partisanes et les incertitudes présentes, les remarques suivantes n’ont d’autres ambitions que de maintenir ouvert notre regard politique à une lumière surnaturelle.

Quelques jours après la funeste semaine où la France est devenue le premier pays à introduire la liberté d’avorter dans sa constitution, l’âme encore meurtrie par les cris de sorcières entendus après le vote du Congrès et la cérémonie de scellement place Vendôme, je cherchais quelque réconfort dans la lecture de mon cher Dom Guéranger. De réconfort point, mais une lumière fulgurante : « un homme ou une société livrée à Satan ne sont pas maîtres de s’arrêter où il leur plaît. » [1]

1789, négation de la souveraineté divine

Les sceptiques ou les réticents n’ont certes pas eu tort de voir dans cette séquence hystérique un gadget politicien, une tentative honteuse de diversion, ou mieux, une mesure inutile et dangereuse. Mais en rester là, ce serait croire que les hommes comprennent l’histoire qu’ils font et en sont les maîtres. Or, en l’espèce, les acteurs contemporains dépendent d’un scénario dont l’écriture a été commencée par d’autres. Dans l’ardeur de l’été 1789, les représentants du peuple français déclaraient solennellement que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

Eux savaient certainement mieux ce qu’ils faisaient que nos congressistes du 4 mars. En donnant un nouveau principe au droit public, cet article se voulait une déclaration d’indépendance, une proclamation, à l’encontre de saint Paul (Rm, XIII, 1), qu’aucun pouvoir ne vient de Dieu. C’était une manière de dire : « Nous avons un roi, nous voulons bien qu’il règne encore sur nous pour quelques temps, mais nous ne voulons plus qu’il soit le lieutenant du Roi des Cieux, parce que désormais “nous ne voulons pas que Celui-ci règne sur nous” (saint Luc, XIX, 14) ».

Cette conception révolutionnaire de la souveraineté populaire instituait comme principe la négation de l’ordre politique naturel fondé dans sa sagesse par le Créateur. Il en découlait logiquement l’article 6 de la même déclaration qui définit la loi comme « l’expression de la volonté générale ». La loi « expression de la volonté » et non plus « ordonnance de la raison en vue du bien commun », selon la définition classique de saint Thomas d’Aquin [2], et dans le cas de la loi humaine, ordination d’une raison elle-même mesurée par la loi de Dieu telle qu’elle se découvre dans l’ordre des choses ou dans sa Parole révélée.

L’homme au principe de la loi

Un peuple peut librement se donner la forme politique qui s’adapte le mieux à son génie et à ses traditions mais « ce choix, comme le remarquait Léon XIII dans Diuturnum illud, détermine la personne du souverain, il ne confère pas les droits de la souveraineté ». Le peuple peut bien décider qui devra exercer l’autorité politique, c’est le propre de la démocratie, mais il ne peut prétendre constituer cette autorité sans que l’on bascule dans un régime entièrement nouveau qui s’oppose autant à la démocratie classique qu’à la monarchie.

C’est pourquoi, Jean Madiran voyait en ce 26 août 1789 une « date terrible dans l’histoire du monde (…) où des hommes ont décidé de se donner eux-mêmes leur loi ; la date où ils ont décliné au pluriel le péché originel » [3].

Mais tout cela est fort lointain, dira-t-on. Pourquoi rabâcher ces vieilles déplorations réactionnaires ? Il faut les rabâcher parce qu’elles n’ont toujours pas été entendues. Il est vain de vouloir changer de majorité ou même restaurer la monarchie, si l’on ne comprend pas le sens et la portée de cette apostasie collective et si l’on ne veut pas s’y opposer de toutes ses forces. Ce serait se condamner à déplorer des maux dont on s’obstine à ignorer les causes.

Tant que les mœurs implantées dans la société par le Christianisme continuèrent à survivre à l’obstruction volontaire de la source d’où elles découlaient, la bourrasque révolutionnaire passée, et moyennant Ralliement et Union sacrée, ce germe d’apostasie planté dans le nouveau régime a pu sembler négligeable et la vigilance s’est assoupie chez la plupart des fidèles. Ainsi, il ne s’est trouvé qu’un seul évêque pour déplorer l’insertion de la Déclaration de 1789, avec ces articles litigieux, dans le préambule de la Constitution de 1958.

Exorciser et convertir la France

Aujourd’hui que les anciennes vertus chrétiennes, trop longtemps coupées de leur source, achèvent leur corruption dans la plus grande partie de notre peuple, il nous est donné de voir le développement de ces principes révolutionnaires dans leurs dernières conséquences. « Quand l’insolence de l’homme, obstinément, rejette Dieu, Dieu dit enfin à l’homme : Que ta volonté soit faite ! Et le dernier fléau est lâché : ce n’est pas la famine, la guerre, la peste… c’est l’Homme ! Et quand l’homme est livré à l’homme, on peut connaître ce qu’est la Colère de Dieu ! » (Louis Veuillot)

Mais cette Colère ne doit pas nous désespérer parce qu’elle est la preuve que la Providence est à l’œuvre, la preuve que Dieu règne encore, fussent par les méfaits attachés à son absence. Un autre motif d’espérance est que si l’âme de la France est comme « livrée à Satan », il est possible d’œuvrer à l’exorciser et à la convertir. Un régime politique avec ses lois fondamentales n’est pas à lui seul le constitutif formel – l’âme – d’une nation même s’il en est l’élément naturel supérieur.

En effet, les noms de peuples ne sont pas des fictions linguistiques qui serviraient à désigner une collection d’individus sans identité mais ce qui permet d’identifier un individu collectif réel. Un peuple ne se réduit pas aux éléments qui le composent et qui ne cessent de changer avec la succession des générations, il est tel par le principe formel qui constitue ces éléments en un corps social individuel. Cette forme peut, par analogie avec le corps, être nommée une âme, mais, le corps social et politique n’étant pas un être ayant une existence par soi et indépendante, son âme ne sera pas substantielle et immortelle comme celle d’une personne humaine. Un peuple peut disparaître, une nation mourir.

L’âme d’une nation

Toutefois quand cette nation a été baptisée à l’orée de son histoire, quand elle a fait « alliance avec la Sagesse éternelle », pour reprendre les mots de Jean-Paul II au Bourget, son âme, son principe formel constitutif, est marquée d’un caractère indélébile. Une nation peut être privée pendant des siècles d’une souveraineté politique sans périr, pensons à la Pologne ou à l’Irlande, et maintenir son identité par sa culture, ses mœurs et des institutions, dont l’Église, qui suppléent pour un temps à la privation d’une forme étatique.

Il est vrai que notre situation est bien différente puisque nous sommes sous la domination d’un pouvoir établi devenu intrus par son refus de servir des aspects essentiels du bien commun au moyen d’une législation positive qui, respectueuse de la Loi divine, dispose à la pratique des vertus indispensables à la vie en société et au salut des âmes.

Mais étonnement, miraculeusement même, subsistent en France des traditions culturelles et des institutions qui, vaille que vaille, continuent de former, d’animer des portions du corps social en fidélité aux promesses de son baptême. À condition de résister à la double tentation de l’affadissement mondain et du repli communautaire, c’est-à-dire de l’oubli du caractère nécessairement politique de l’existence humaine accomplie, elles peuvent constituer, en infusant un esprit civique dans une élite désireuse de servir, des pierres d’attente pour redonner le moment venu à la France des lois fondamentales ordonnées au bien commun.

 


[1] L’Année liturgique, au mardi de la IVème semaine de Carême.

[2] Somme de théologie, I-II, q. 90, a. 4.

[3] Les deux démocraties, NEL, 1977, p. 17.

 

>> à lire également : Notre quinzaine : Dieu se rit…

 

Michel Collin, Professeur agrégé de philosophie

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