Jerzy Popieluszko, autre Christ jusqu’au Calvaire

Publié le 06 Sep 2017
Jerzy Popieluszko, autre Christ jusqu'au Calvaire L'Homme Nouveau

Cela fait presque quarante ans, et c’était hier.
L’URSS étendait ses tentacules sur les cartes murales de nos salles de classe, jusqu’à nos frontières ou presque. Inexorablement, le communisme gagnait du terrain aux quatre coins de la planète. L’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques aux premières heures de 1980 laissait croire à une offensive décisive, prélude à une attaque contre un Occident où certains défilaient en criant : « plutôt rouges que morts » et l’un de mes amis d’aumônerie, dont un frère aîné était officier d’état-major, nous répétait, l’air grave, ce qu’il entendait chez lui : « en jetant toutes nos forces dans la bataille et en nous faisant tuer sur place, nous les retarderions de vingt minutes … »

C’était aussi l’époque où, à Gdansk, un ouvrier électricien des chantiers navals du nom de Walesa entamait avec le pouvoir communiste un bras de fer qui, vu de l’Ouest, paraissait insensé à ceux qui se souvenaient de Budapest et Prague. D’ailleurs, avant la Noël 1981, lui et ses camarades seraient jetés en prison, et Solidarnosc, dont nous arborions l’insigne en dérisoire soutien, interdit. Le ciel était très noir cet hiver-là. Et les ténèbres s’assombriraient encore, en octobre 1984, tandis que la répression à l’est battait son plein, lorsque seraient annoncés la disparition, puis l’assassinat, de l’abbé Jerzy Popieluszko, aumônier du syndicat bâillonné.

Un visage qui n’avait plus rien d’humain

Je m’en souviens, quelques journaux, qui « pensaient mal », oseraient seuls publier la photographie mortuaire du prêtre.
Les clichés, dans leur brutalité, ôtaient toute illusion romantique aux très jeunes gens que nous étions encore sur la réalité du martyre : le visage tellement bouffi de coups qu’il n’avait plus rien d’humain, les doigts, qui serraient la croix de son chapelet, brisés, tout cela disait assez ce qu’avait subi le malheureux vicaire de la paroisse varsovienne Saint-Stanislas avant d’être précipité, sans doute encore en vie, pieds et poings liés dans la Vistule, déjà gelée en cette nuit du 20 octobre 1984.
L’immense colère contenue des foules catholiques obligerait le pouvoir de Jaruzelski, soudain acculé, à se démener pour faire la lumière sur cet assassinat, en trouver les coupables, des officiers des affaires religieuses au ministère de l’Intérieur, et les livrer, à rechigne cœur, à la justice. Poussés aux aveux, les tueurs seraient obligés de dire où ils s’étaient débarrassés de leur victime.
Sans le comprendre, eux que la haine de Dieu aveuglait, ils avaient fait un martyr de l’abbé Popieluszko, et de sa tombe, vite devenue lieu de pèlerinage, le cœur battant d’une Pologne que la mort d’un seul homme allait, à brève échéance, ressusciter.

Un miracle en France

jerzy popieluszko

Je ne sais si le nom de Jerzy Popieluszko dit grand-chose aux jeunes d’aujourd’hui. Peut-être sa probable canonisation, conséquence d’un miracle opéré en France et attribué à son intercession, aidera-t-elle à remettre sa courte vie en lumière. C’est en tout cas ce qu’a voulu faire le Père Bernard Brien, « complice » involontaire de la guérison miraculeuse qui vaudra sans doute au prêtre polonais les honneurs des autels, en lui consacrant une brève biographie Jerzy Popieluszko, la vérité contre le totalitarisme. (Artège. 140 p ; 14 €.)
Coïncidence qui n’en est évidemment pas une, les deux prêtres, le Français et le Polonais, sont tous deux nés le 14 septembre 1947, et c’est encore un 14 septembre, il y a cinq ans, qu’appelé en urgence au chevet d’un agonisant dans un hôpital de la banlieue parisienne, le Père Brien, très attaché à Jerzy, eut l’idée, alors qu’il donnait les derniers sacrements, de l’appeler au secours. Un quart d’heure après, le mourant sortait du coma ; le lendemain, il était debout, et, à dix jours de là, chez lui, guéri du cancer qui le dévorait …
Toutefois, le plus grand prodige à attribuer à l’abbé Popieluszko n’est pas cette guérison, mais la résurrection de sa Pologne bien-aimée.

Un prêtre ordinaire ?

Le Père Brien le souligne, le jeune prêtre polonais n’avait rien d’extraordinaire, à première vue. Il n’était pas brillant et même d’un abord très ordinaire. En revanche, une foi à déraciner les montagnes l’habitait. Il l’avait prouvé, séminariste de dix-neuf ans, envoyé dans un bataillons réservé à ces jeunes catholiques que l’on voulait dégoûter du sacerdoce, en refusant, malgré les coups qui pleuvaient sur lui, de piétiner sa médaille de la Vierge. Le cachot et les mauvais traitements qui s’ensuivraient ruineraient sa santé fragile sans briser une âme de feu.
Cela ne signifie pas que l’abbé Popieluszko était au-delà des craintes communes. Le Père Brien souligne la peur abominable qui le tenaille, tandis qu’il sent la pression du pouvoir communiste se refermer sur lui, les menaces, les attaques, les tentatives de meurtre se multiplier. Le cardinal Glemp, qui ne l’aimait guère, lui enjoignit de partir pour Rome.
C’était l’échappatoire rêvée, celle sur laquelle, dans les mêmes circonstances, n’importe qui, à sa place, eût sauté parce qu’elle sauvait l’honneur et préservait la vie, le tout sous couvert d’obéissance. Mais Jean-Paul II lui avait écrit : « tenez bon. » et Jerzy tint bon.

Au nom de la vérité

Quand il eut accepté le sacrifice de sa vie, au nom de la vérité, cette vérité si malmenée par les mensonges du communisme, il expérimenta la réalité de la promesse évangélique : « la vérité vous rendra libres. » Dès lors, c’est pleinement en homme libre qu’il s’exprime dans ses sermons au cours des fameuses « messes pour la patrie » qu’il célèbre dans des églises noires de monde :

« la peur est le plus grand manquement de l’apôtre. Celui qui se tait face aux ennemis de la bonne cause les enhardit. »
« il est impossible de parler de justice là où le mot Dieu est éliminé officiellement de la vie de la patrie. Prenons conscience de l’irrégularité et du préjudice qui sont causés à notre nation chrétienne quand on l’athéise à force de lois, quand on détruit dans l’âme des enfants les valeurs chrétiennes. »
« Domine un entêtement aberrant pour enlever Dieu aux gens et leur imposer une idéologie qui n’a rien de commun avec notre tradition chrétienne. Cette athéisation planifiée, cette lutte contre Dieu et tout ce qui est divin est en même temps une lutte contre la grandeur et la dignité humaine. Car l’homme est grand parce qu’il porte en lui la dignité des enfants de Dieu. »

Il est singulier de voir combien ces mots, écrits pour dénoncer l’asservissement marxiste, s’accordent avec la réalité morale, spirituelle et politique de notre pays. Est-ce pour cela que le prêtre martyr a choisi la France pour opérer le miracle nécessaire à sa canonisation ?
Quoiqu’il en soit, gardons, dans l’attente de la glorification de ce nouveau saint Georges, vainqueur d’un dragon terrifiant entre tous, cette parole qui aurait pu lui servir de devise : « La seule peur que nous devions avoir, c’est d’être coupé de Dieu. »
C’est à peu près ce que proclamaient déjà les Vendéens dressés contre le premier des totalitarismes révolutionnaires : « Nous n’avons qu’une peur au monde, c’est d’offenser Notre Seigneur. »

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