La Confédération des juristes catholiques de France a tenu le 16 novembre dernier son XXVIe Colloque national à la Maison du barreau de Paris, sous la présidence du cardinal Stanislas Rylko, Président du Conseil pontifical pour les Laïcs. Le thème de ses travaux était : « Le mariage en questions ». La nombreuse assistance ne fut pas déçue par les interventions de grande qualité de juristes. Professeur de droit public, Marie-Pauline Deswarte a assisté à ce colloque dont elle propose ici un compte-rendu. Vu l’importance du sujet, il n’est pas trop tard pour revenir sur cette rencontre.
L’engagement des chrétiens sur le mariage
Dans sa Conférence introductive le professeur Joël-Benoît d’Onorio, Président de la Confédération, dénonçait d’emblée les mensonges sur lesquels reposait la loi du prétendu « mariage pour tous » : mensonge sémantique sur le mot mariage qui ne peut convenir, sur la soi-disant capacité de la loi à changer l’ordre naturel, sur la façade libérale d’un État en réalité totalitaire, sur une laïcité qui ne respecte pas les croyants, sur le refus de la clause de conscience promise. Nous ne sommes plus dans le droit mais dans la politique, avec des partis peu fiables et pourtant avec lesquels il faut compter. La future loi sur la famille qui se prépare montre un entêtement du gouvernement sur son absence de compréhension de la réalité familiale. L’avenir s’annonce difficile, car les effets de la loi sur le mariage et la catastrophe sont pour après. Il ne faut pas avoir peur de critiquer la réforme qui a été menée par une minorité agissante. L’abrogation est toujours possible. Pour l’instant l’État de droit, la civilisation et le concept de loi ont perdu. Néanmoins, la France a montré sa capacité de mobilisation. L’engagement de chacun, à commencer par les juristes, est plus que jamais nécessaire.
Le nécessaire engagement des laïcs
Le cardinal Rylko reprenait justement ce thème dans sa conférence : « L’engagement des laïcs dans la vie publique et l’avenir de la cité ». Soulignant combien il était répréhensible de se désintéresser du sujet il invitait les chrétiens à sortir des sacristies. Certes, nous sommes minoritaires, mais le sel l’est aussi dans la nourriture. Cependant il lui donne son goût. Les chrétiens qui sont dans la chair, ne vivent pas selon la chair. Le Pape François a parlé aux parlementaires pour leur dire que la laïcité ne doit pas être hostilité à la religion, qu’ils doivent insuffler une âme aux lois qui ne reflète pas la mode et les idées du moment, mais qui les ennoblit. La nature humaine est concernée et nul ne peut ignorer la loi que Dieu a inscrite dans l’être humain. Le chrétien est gardien de l’être humain. Mais il y a le danger d’être endormi, chrétien à temps partiel. Il nous faut vivre à fond notre identité de chrétien. La crise actuelle peut être un moment de purification. Il est vital pour l’humanité de se faire entendre.
Le mariage et la nature
Traitant du sujet, « Nature et droit », le professeur Jean-Baptiste Donnier, de la Faculté de Droit d’Aix-Marseille, montrait l’inséparabilité de ces deux notions. Affirmant « la nature n’est plus dans la loi », il allait mettre le doigt sur le vertige d’une modernité prise de peur devant sa propre audace. L’homme actuel a le pressentiment d’une catastrophe. Pour comprendre la situation, il faut d’abord se défier de certains raisonnements. Le droit naturel a été transformé en droits naturels subjectifs nés de la seule volonté humaine et la nature est devenue une nature juridique abstraite. Or, le juriste qui raisonne sur les rapports entre les hommes, ne peut pas fonder le droit sur une nature humaine qui est niée. Il faut donc retrouver le sens de la loi naturelle inscrite par Dieu dans l’homme. Celle-ci est occultée par le législateur, si bien que dans la matière du mariage, l’hétéronomie est perçue comme une menace pour la liberté. La loi devient relative et perd son autorité. Si elle n’est que l’expression d’une volonté, si ses principes ne sont déterminés que par un consensus social, elle devient très fragile et ne remplit plus sa fonction ; à la limite elle ne sert plus. La solution est dans la qualification juridique des rapports entre les êtres, car dans cette opération on recherche la raison d’être, la qualité et la finalité des choses. Cette recherche de la finalité est au cœur de l’acte de dire le droit. À ce moment-là on est obligé de se fonder sur la nature des choses. Il revient donc au juriste de récupérer la nature qui a disparu de la loi positive, pour dire le droit naturel qui nous dit la vérité.
Vérité de la famille
Le droit ne peut éviter cette question. C’est ainsi qu’Aude Mirkovic, maître de conférences à l’Université d’Évry, traitait du problème de : « La vérité dans le droit des personnes et de la famille ». Un rapport de la Cour de cassation a justement souligné le lien entre justice et vérité. On peut ajouter que, sur la question du mariage, il concerne très spécialement la filiation. La vraie filiation est la filiation biologique. Cependant cette vérité n’est pas la seule. En matière d’adoption, la filiation est symbolique. Dans ce cas elle est présumée correspondre à la filiation biologique. Le contentieux se règle sur cette vérité. Le droit exige la vraisemblance ; c’est le principe essentiel pour le droit de la filiation à la Cour de cassation. La loi de 2013 remet en question ce caractère. La filiation invraisemblable ne peut pas désigner l’origine de l’enfant, elle désigne seulement l’adulte référent ; l’enfant non biologique n’existe pas. L’adoption perd alors son sens puisqu’en l’occurrence elle ne peut imiter la biologie. Les conséquences pratiques sont à la mesure de cette incohérence. La « parenté » dite « sociale » couve des conflits à venir, à commencer ceux entre « parents sociaux » et biologiques, mais aussi entre plusieurs « parentés sociales ». En cas de multiplication des « parents sociaux » le juge n’a aucun moyen de faire le partage puisque la vraisemblance biologique est mise de côté. En définitive, la volonté d’être parent permet d’exclure la filiation.
Contre le mensonge et pour la vérité
Dans le même registre du mensonge et de la vérité, Aline Cheynet de Beaupré, professeur à l’Université d’Orléans, traitait de « L’adoption d’un enfant dans une famille ». La loi de 2013 ne devait normalement pas traiter de l’adoption ; or, deux tiers du texte lui sont consacrés. Tout est mélangé à dessein : la réforme du mariage est en réalité faite pour permettre à des homosexuels d’adopter des enfants. Le législateur choisit l’adoption plénière qui rompt le lien avec la famille d’origine et qui, jusque-là, n’était autorisée que pour les couples mariés. Les perturbations causées par cette loi sont immenses. C’est toute la construction du droit de la famille qui s’effondre, car tous ses principes sont touchés : le livret de famille et le nom sont particulièrement concernés. L’autorité parentale sera aussi touchée. En outre, une proposition de loi faite au Sénat demande à ouvrir l’assistance à la procréation médicale aux couples homosexuels puisque des femmes le font déjà. En droit international, la situation n’est pas meilleure. Il y aura en particulier à régler la question de la compatibilité avec les pays prohibant ce type de « mariage ». Ainsi la Cour d’appel de Chambéry a-t-elle décidé en octobre dernier que « le mariage pour tous » était d’ordre public en matière internationale ; le Maroc qui prohibe ce « mariage » était ici concerné. Une simple circulaire prise par Christiane Taubira, le 25 janvier 2013, considère que les greffiers des tribunaux d’instance ne doivent plus refuser systématiquement la nationalité française aux enfants nés de mères porteuses. Celà permet de fermer les yeux sur les gestations pour autrui faites à l’étranger en toute illégalité. Enfin des pays étrangers refusent les nouvelles dispositions de la loi française concernant l’adoption et ferment leurs frontières. Pour ce qui concerne l’Europe, il est toujours possible à un pays d’interdire le mariage au couple de même sexe ; en revanche le mariage est souvent une condition pour adopter. Face à des situations juridiques incohérentes, la nature semble reprendre ses droits.
Mariage et valeurs fondamentales
Les promoteurs de la « loi » de 2013 ont voulu lancer un défi à la civilisation et l’ont dit. Parlant de « L’approche d’un parlementaire engagé sur les sujets de civilisation », le député Jean-Christophe Fromantin expliquait son engagement en la matière, en restant sur le terrain politique. Les débats de la loi avaient été une chance pour mettre à l’épreuve le sens de son engagement. Estimant qu’il fallait débattre sur le champ des valeurs et non en rester à la conscience de chacun, Jean-Christophe Fromantin a donc obligé les responsables de son groupe à poser la question des valeurs à tous ses membres. Or, presque tous était contre le « mariage » envisagé, sauf les responsables. Ainsi cette opération lui a-t-elle permis de demander la délégation de son groupe pour les débats parlementaires.
Au plan constitutionnel
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur à l’Université de Rennes I, dans « Mariage, famille et Constitution », devait conduire la réflexion au niveau constitutionnel, là où se révèle l’engagement de la société. Les constitutions françaises disent peu de chose de la famille. Néanmoins, elle apparaît dans le Préambule de 1946, repris en 1958, comme une composante de la nation. Le Conseil constitutionnel a vu un principe constitutionnel dans « le droit de mener une vie familiale normale ». Sa jurisprudence en la matière est touffue. Elle s’articule autour des deux grands principes que sont la liberté matrimoniale et l’égalité. Le second lui a permis de ne pas s’opposer au PACS lorsqu’il a été voté et de considérer que l’hétérosexualité était une simple règle qui ne concernait pas les droits et libertés fondamentales. En définitive, l’on voit une jurisprudence dans laquelle les valeurs ne sont pas constitutionnelles ; une simple loi peut donc les modifier. Celà entraîne une pulvérisation du droit objectif en droits subjectifs, un abandon de l’égalité républicaine et, en définitive, le relativisme.
Vers l’objection de la conscience ?
Guillaume Drago, professeur à l’Université de Paris, confirmait cette évolution dans sa conférence : « La liberté de conscience des élus et des agents publics ». Cette liberté a sa source dans la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et la Constitution actuelle. Le législateur l’a reconnue de façon continue dans plusieurs lois, si bien que le Conseil constitutionnel y a vu un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Néanmoins le Conseil a pris l’habitude de commenter ses propres décisions et les magistrats s’y réfèrent. Pour ce qui concerne l’IVG le chef de service voit sa liberté de conscience protégée, mais il ne peut l’empêcher dans son service ; il a simplement le droit de pas la pratiquer lui-même car il ne faut pas faire obstacle à l’accès au service public et à l’égalité des usagers. Le chef de service n’est pas déchargé de sa responsabilité dans le fonctionnement du service ; il coopère donc de façon indirecte au service public. Lorsqu’il s’est prononcé sur la liberté de conscience des maires confrontés à la loi de 2013, le Conseil a simplement dit que le législateur avait entendu assurer l’application de la loi et l’égalité dans le fonctionnement du service public. L’acte accompli par le maire est un acte juridique qui ne l’affecte pas directement : ainsi la clause de conscience ne se justifie pas. Face à ce mépris des valeurs proclamées par nos textes, Guillaume Drago défend l’objection de conscience comme étant la revendication d’un ordre juridique alternatif soumis à des valeurs objectives de droit naturel et donc à une obligation supérieure.
Sacralité du mariage
La question était traitée par Olivier Échappé, Professeur à la Faculté de droit canonique de Paris en ces termes : « Mariage civil et mariage religieux : vers le divorce ? » Les deux mariages ont été longtemps unis. Au début l’union fut heureuse ; elle s’épanouit dans le droit romain chrétien. L’autorité reconnue à l’Église lui permit d’asseoir son monopole en la matière. De contrat naturel le mariage fut élevé à la dignité de sacrement. La Réforme fut le début d’un désamour. L’État se trouva alors entre mariage catholique et protestant. Le caractère contractuel fut valorisé ainsi que la compétence étatique ; l’idée se répandit d’une séparabilité entre le contrat et le sacrement. Elle fut d’abord de fait, lorsque l’état civil fut retiré aux ecclésiastiques. Mais avec le divorce elle devint conflictuelle. Malgré tout on ne touchait pas encore à la nature profonde du mariage qui était fondé sur la Genèse. Avec la loi de 2013 c’est différent car l’individu veut être maître de son destin. Il y a eu rapt sur le mot mariage. Selon Olivier Échappé il serait bon de réclamer l’indépendance totale du mariage religieux par rapport au mariage civil car le divorce est acquis entre les deux.
La responsabilité des juristes
Le professeur Pierre Delvolvé, membre de l’Institut, complétait ces réflexions par une réflexion approfondie sur « La responsabilité des juristes ». La responsabilité c’est l’obligation de remplir un devoir. Pour le juriste c’est une responsabilité civique car, dès lors qu’il y a société, il y a droit. Le droit n’est pas seulement une technique, c’est l’art du juste qui est d’attribuer à chacun ce qui lui est du. La définition du mariage relève d’une conception extra-juridique, religieuse, philosophique. Le législateur avait établi des règles du même ordre que celles du mariage religieux. Mais cela a été abandonné avec la loi de 2013. On a un conflit entre deux conceptions de la nature humaine. Pour les uns l’altérité fait partie de l’identité, pour les autres elle est indépendante de l’identité. En outre, notre conception de la liberté exclut de s’engager de façon définitive. Notre responsabilité est de « savoir ce choc ». Le juriste a plusieurs fonctions : connaître la société, dire les choses, appliquer les règles et les améliorer. La grande difficulté est dans la fonction d’application car nous avons un devoir de loyauté. Jésus s’est soumis. Peut-on le faire et commettre l’inadmissible ? Selon Pierre Delvolvé le mariage religieux est désormais déconnecté du mariage civil. Ce dernier est devenu une simple formalité administrative. Le maire ne viole pas sa conscience en le faisant et notre conférencier en conclut que la résistance est au-dessus du droit.
Nous pouvons penser que ce dernier point suscitera bien des interrogations et des commentaires. Effectivement, les promoteurs du prétendu « mariage » des homosexuels ont voulu à tout prix pénétrer dans l’institution du mariage et de la famille pour bénéficier de sa sacralité, même civile. La question est alors posée : est-ce au mariage civil à abandonner le terrain en rompant délibérément avec toute sacralité ?