La tolérance, un mot valise à éclaircir

Publié le 16 Nov 2022
tolérance

On connait la citation célèbre de Claudel : « La tolérance, il y a des maisons pour cela ! ». Comme d’autres mots  (démocratie, liberté…), le terme « tolérance » est repété à l’envie dans les médias, et son sens… dévoyé ! Méditons tout de même sur la richesse du vocable. Peut-être pourrons-nous ainsi glisser, dans nos conversations, quelques idées ou remarques profitables à notre interlocuteur…

 

Depuis 1995, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la culture (UNESCO) propose à ses membres de célébrer une Journée mondiale de la tolérance. Sur son site internet, l’institution définit ce qu’elle entend promouvoir : « La tolérance est le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes d’expression et de nos manières d’exprimer notre qualité d’êtres humains. »

Le site journée-mondiale.com en précise la portée par « dix pistes pour lutter contre l’intolérance ». La première, intitulée « La diversité au sein de votre communauté », commence ainsi : « Où que vous habitiez, vous seriez probablement surpris de l’extrême diversité qui règne au sein de votre communauté. Quelqu’un a dit que chaque culture est un ensemble d’influences subies. » Puis une action est proposée : « Organisez un concert ou un festival réunissant toute une gamme de ces traditions culturelles. » Le décor idéologique est planté !

La tolérance : cheval de Troie du wokisme ?

Si on ajoute à cela des considérations sur le respect des peuples autochtones, des minorités en tout genre (surtout les non genrées…), l’impression qui domine est celle d’un discours convenu sur la diversité. D’autant que les mots n’étant pas définis, à commencer par celui, central, de « culture », les préconisations de l’UNESCO et de ses relais courent le risque d’une extension indéfinie… A ne pas mettre de barrières ou de cadres à ses propos, on prend toujours le risque de voir la confusion l’emporter. N’en arrive-t-on pas d’ailleurs aujourd’hui à parler de culture à propos de toute groupe se revendiquant comme une communauté ? Face aux injonctions du wokisme, la définition initiale pourrait difficilement résister !

Faut-il pour autant rejeter d’un revers de main cette journée et son intention ? Il nous semble indispensable d’en reconnaître la bonne part et de nous interroger sur les moyens de démêler l’écheveau conceptuel dont nous avons, à l’instant, tiré quelques fils. En effet, contre l’américanisation, voire – excusez le néologisme – la « dysneylisation » de nos sociétés, il faut se réjouir du trésor intellectuel, culturel, historique, artistique, etc., de nos cultures particulières. Alors, à la prochaine sortie familiale ou amicale, quel lieu irons-nous visiter ? Quel panorama irons-nous contempler ? Quel film ferons-nous voir à nos enfants ?

La tolérance entre bien commun, gratitude et créativité

Pour tenter d’y voir plus clair, ou au moins afin d’éviter d’aggraver la situation, rien de mieux que d’honorer le mot dans la richesse de sa signification.

Le terme « Tolérance » peut effectivement désigner différentes choses. La tolérance peut signifier « l’état d’esprit qui admet d’autres manières de penser ou de vivre que les siennes ». Toutefois, une limite doit être posée : il y a, affirme l’UNESCO, une nécessaire lutte contre l’intolérance. Or, si l’on prend acte que, forcément, quelqu’un devra décider de ce qui mérite tolérance et ce qui doit subir les foudres de l’intolérance, une autre signification du mot est fort instructive.

Elle nous est donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales qui définit la tolérance ainsi : « Fait de tolérer quelque chose, d’admettre avec une certaine passivité, avec condescendance parfois, ce que l’on aurait le pouvoir d’interdire, le droit d’empêcher. » Sous-jacentes aux derniers mots, se tiennent deux notions et réalités fondamentales : l’autorité légitime, qui a le pouvoir et le droit de distinguer et de décider ; et le bien commun au service duquel l’autorité se trouve instituée et qui est le critère de son action.

Alors, sans tomber dans une conception hygiéniste de la société, il faudra – troisième acception du terme – prendre acte de « seuils de tolérance », et parfois mener des actions fermes de « tolérance zéro ».

Mentionnons un dernier sens du mot : votre institutrice de classe primaire vous a appris que, dans une poésie, le mot « encore » pouvait être écrit sans « e »,  parce que cela permettait d’avoir le bon nombre de pieds dans le vers, mais que si vous faisiez cela en dictée, la faute vous serait comptée ! Cette licence poétique appartient à la catégorie plus large des « tolérances » orthographiques et grammaticales.

Quand on la porte au niveau des cultures, cette réalité nous ouvre sur deux axes en tension féconde : d’un côté les coutumes ancestrales, permises et respectées, honorées même alors qu’on pourrait ne plus leur voir d’utilité ou de raison, si ce n’est justement la gratitude des héritiers ; et de l’autre, la part de créativité et de liberté indispensables à tout vie humaine, à un corps social. On entre ici, par exemple, dans le domaine de l’art.

A l’école du cardinal Pie : soyons intolérants… et tolérants

Selon Nicolas Boisleau, « Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement. Et les mots pour le dire, arrivent aisément ». On mesure combien notre monde contemporain, piégé par son propre relativisme, peine à définir avec précision ce qu’il faut entendre derrière ses mots vitrines, qu’il s’agisse de la « liberté », de la « démocratie » ou de la « tolérance ».

On aura tout intérêt à se reporter à la pensée du Cardinal Pie (1815-1880) pour clarifier la question de la tolérance. L’archevêque de Poitiers en donne une vision plus vigoureuse, qui sans traiter tous les aspects, en assoit tout de même fermement le socle.

En effet, dans son sermon sur l’intolérance doctrinale prononcé en 1841, le cardinal Pie affirme deux principes : « 1er principe : La religion qui vient du ciel est vérité, et elle est intolérante envers les doctrines. 2ème principe : La religion qui vient du ciel est charité, et elle est pleine de tolérance envers les personnes. ». Comme souvent en matière d’équilibre intellectuel, il s’agit toujours de tenir les deux bouts d’une même chaine.

 

A lire également : Une tolérance programmée – L’Homme Nouveau

Chanoine Jestin +

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