Quarante jours nous sont offerts par l’Esprit et l’Église. Est-ce pour être enseignés, comme le fut Moïse ? Ou consolés comme Elie ? De quoi devons-nous nous priver pour recevoir la parole de Dieu dont nos âmes ont besoin ?
Le premier dimanche de carême nous a présenté les tentations de Jésus au désert, précédées (cela est dit en quelques mots brefs) de quarante jours de jeûne. Avec l’évangile du deuxième dimanche, c’est sur la montagne de la Transfiguration que nous sommes, avec les trois apôtres, conviés à demeurer un instant.
Là aussi, à travers les figures de Moïse et d’Élie, quarante jours de jeûne nous sont montrés : la quarantaine du premier sur le Sinaï, avant que Dieu ne révèle les commandements et ne grave les dix sur les tables de pierre (Ex 24) ; celle du second en chemin vers le mont Horeb (qui est sans doute le même que le Sinaï), avant que Dieu ne lui parle, non dans le tonnerre et la tempête, mais dans le « bruit d’un fin silence » (1 R 19). A Moïse, la parole révélée à tous, les lois de la vie bonne. A Élie, des mots intimes de consolation dans l’épreuve.
Quel lien y a-t-il entre les deux, si ce n’est Jésus lui-même, que tous deux entourent : « Celui-ci, déclare la voix du Père depuis la nuée, est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ». Jésus est le Verbe incarné, la Parole de Dieu faite chair, qui rassemble la parole proclamée par le libérateur d’Égypte, Moïse, et celle susurrée au cœur du prophète pourchassé par la reine Jézabel, Élie.
Jésus, le chemin, la vérité et la vie, donne leur forme parfaite aux commandements (« moi, je vous dis ») en son commandement nouveau de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés (Jn 13, 34). Le Christ, doux et humble de cœur, procure le repos à ceux qui peinent et ploient sous des fardeaux de toutes sortes (Mt 11, 28-30).
Un temps favorable pour se laisser transformer
C’est l’Esprit qui, comme Jésus au désert, nous conduit en ce carême : « voici le temps favorable » ! (2 Co 6, 2) Est-ce un enseignement, un commandement, que Jésus et son Église entendent nous rappeler, avec l’urgence de notre salut, la gravité ou l’imminence de notre égarement ?
Ou un discernement plus clair et une décision plus résolue dans cet univers de bruits et d’informations qui nous entoure, aux perspectives trop raisonnables et autocentrées, aux insinuations blasphématoires comme le furent les trois suggestions du démon à Jésus, ou aux paroles chafouines comme celles adressées à Eve et à Adam ? Peut-être est-ce, pour nous, la parole réconfortante de l’ami toujours présent, bien que très discret ?
Et si c’était le baiser du Verbe, lorsque, comme Jean au soir du Jeudi Saint, on se tient, tout contre le cœur aimé, « in sinu Iesu » (Jn 13, 23 – Vulgate), entre la Passion sous sa modalité eucharistique et la Passion comme souffrance et compassion acceptées en nos existences : Juxta crucem tecum stare, tout près de la croix, avec vous, Marie, demeurer. (Stabat Mater)
Mieux nous situer par rapport à Dieu, à soi-même et au prochain
« Il est bon pour nous d’être ici », commencèrent les apôtres devant Jésus transfiguré. Oui, en fait, où demeurons-nous ?
Nous pouvons – et ce sera toujours un peu une tentation – demeurer dans des délices bien terrestres, où nous aimons sans Dieu et hors de lui des réalités inutiles, et parfois mauvaises : ce carême est alors un temps de purification, pour émonder les sarments morts. L’ascèse, ciblée sur tel domaine ou passion que l’on aura repéré, sera notre instrument de prédilection.
Et cela commencera par s’abstenir, qui de chocolat ou de vin, de réseaux sociaux ou de musique, qui de petites réunions sur le trottoir ou autour d’un café, non pour elles-mêmes mais en tant qu’elles sont les trop fréquentes occasions de médisances… En somme, une quarantaine des occasions de péché, de négligence et de désordre…
Devenir plus intérieur et priant
D’autres voluptés, plus insidieuses, nous guettent peut-être, celles de l’amour-propre : nous ne faisons pas le mal, nous accomplissons même le bien… mais à notre manière, et au final pour notre satisfaction… Or, selon la formule de Jean de Gerson, Dieu récompense, non les verbes, mais les adverbes (ces mots en « ment » : promptement, fréquemment, soigneusement, joyeusement…)…
Sinon, là encore, nous serions et agirions sans Dieu et hors de Dieu. Une lumière nous est nécessaire, celle qu’offrent la méditation et l’oraison prolongées, la direction spirituelle et la confession, l’étude. Toutes choses qui témoignent d’un retrait de monde, le requièrent, comme Jésus en ses nuits de prière, seul.
Dans ces deux derniers paragraphes, nous avons suivis implicement les deux premiers degrés de perfection de l’amour selon le Traité de l’amour de Dieu (Livre X, chapitre 4). Car il y a bien perfection, si imparfaits que nous soyons ! Puisque, comme le suppose saint François de Sales, nous aimons d’un amour (dilection) qui a choisi (élection) résolument. N’est-ce pas ?
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