Les Ostensions limousines : la foi se montre dans les rues

Publié le 21 Juin 2016
Les Ostensions limousines : la foi se montre dans les rues L'Homme Nouveau

Les Ostensions limousines sont une tradition religieuse plus que millénaire. Elles ont lieu tous les sept ans. Celles de 2016 – qui se clôtureront le 13 novembre – demeurent très populaires malgré l’effondrement de la pratique religieuse. Initialement mises en place pour lutter contre les épidémies, elles offrent l’occasion aujourd’hui de prier et de combattre les maux de notre temps.

Comme l’a rappelé Mgr François Kalist, évêque de Limoges, « les Ostensions appartiennent à l’histoire du peuple limousin. Pour une part, elles le constituent dans son identité. » Celles qui ont lieu en cette année 2016 sont les soixante-douzième connues dans l’Histoire.

Les Ostensions limousines trouvent leur origine dans le culte de saint Martial. Martial, au milieu du IIIe siècle, a été le grand évangélisateur de l’Aquitaine et le premier évêque de Limoges. En 848, une abbaye avait été érigée sur son tombeau et les restes d’une église primitive. Elle était devenue une des plus importantes du royaume.

En 994 le Limousin fut touché par ce qu’on appelait à l’époque le « mal des ardents » (identifié aujourd’hui comme une intoxication alimentaire due à l’ergot de seigle). Devant le nombre élevé des victimes et des décès dans toute la région, Auduin (ou Hilduin), évêque de Limoges, et son frère Geoffroy, qui était abbé de Saint-Martial, décidèrent de recourir à l’intercession du saint évêque, et des autres saints vénérés dans la région, au cours d’une cérémonie solennelle.

La première ostension

Avec l’appui du duc Guillaume IV d’Aquitaine, un concile fut réuni à Limoges où se retrouvèrent sept évêques et deux archevêques (ceux de Bordeaux et de Bourges). Le 12 novembre 994, après trois jours de prières et de jeûne, les reliques de saint Martial et celles des autres saints furent portées en procession dans la ville jusqu’au sommet de la colline qui dominait la ville (le Montis Gaudii, – « Mont de la Joie » –, qui aujourd’hui correspond au quartier Montjovis). Là eut lieu la première Ostension des reliques. Le 4 décembre suivant, lorsque les reliques de saint Martial furent ramenées en ville, l’épidémie avait cessé.

La pratique des Ostensions a d’abord été reprise lors d’évènements particuliers. Par exemple, lors de la venue de saint Louis à Limoges en 1244 ou lors du passage du pape Clément V en 1307. Ou encore pour invoquer l’intercession des saints lors d’évènements dramatiques. Puis, à partir de 1518, ces Ostensions ont eu lieu tous les sept ans, organisées par le clergé et par une confrérie, dans un temps limité par la liturgie, du jeudi de la mi-Carême jusqu’au dimanche de la Trinité, avec différentes cérémonies constitutives de l’Ostension : annonce du début de l’Ostension par un drapeau hissé au sommet du clocher, vénération individuelle dans l’église, messe solennelle, procession dans les rues. La protection du saint sur Limoges s’est résumée dans une devise qui était inscrite jusque sur les portes de la cité : « Dieu garde la ville et saint Martial les gens ».

Aux Ostensions de saint Martial à Limoges se sont ajoutées, au fil des siècles, d’autres Ostensions dans d’autres localités : celle de saint Léonard à Saint-Léonard-de-Noblat à partir de 1016, celles des saints Amand et Junien à Saint-Junien à partir de 1046, d’autres dans les siècles suivants.

En 2016, c’est dans vingt communes du Limousin qu’ont eu lieu ou qu’auront lieu des Ostensions, le calendrier s’étendant du 28 mars (à Abzac) au 9 octobre (à Guéret). Parmi celles-ci, les Ostensions de Saint-Junien, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Limoges, ont pour origine la vénération de deux saints : Amand et Junien.

Amand vivait en ermite sur les bords de la Vienne, dans la forêt de Comodoliac. Junien est venu de la cour de Clovis, à la fin du Ve siècle, pour le rejoindre. Les deux saints priaient, s’adonnaient à la pénitence et venaient en aide à la population.

Saint Amand mourut vers 510 et fut enterré par Junien non loin de l’ermitage. Sa tombe devint un lieu de culte où les fidèles venaient invoquer son aide. Junien continua sa vie de prière et d’intercession. Parmi les guérisons qui lui sont attribuées, il y a celle de Rurice ou Rorice, neveu de l’évêque de Limoges prénommé lui aussi Rurice (dit Rurice Ier). Après la mort de Junien en 540, celui qui avait été guéri par lui et qui était devenu à son tour évêque de Limoges, présida ses funérailles et fit placer le corps du saint dans un sarcophage qui fut enterré près de l’ermitage.

Plus tard, un oratoire sera édifié qui prendra au fil du temps des dimensions plus importantes. La collégiale actuelle remonte au XIe siècle. Les reliques de saint Amand ont rejoint celles de saint Julien lors d’une solennelle translation qui a été faite le 21 octobre 1100 par l’évêque Raynaud de Périgueux. Par la suite encore, les reliques de Théodore, soldat romain mort en martyr en 301, seront amenées dans la collégiale.

Les Ostensions des reliques ont commencé à Saint-Junien en 1046. Hormis une interruption sous la Révolution, elles se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui. On notera que cette ville de 11 000 habitants est dirigée depuis près d’un siècle par des maires communistes ou issus d’un petit parti communiste dissident. Les Ostensions dont les cérémonies, comme ailleurs, s’étalent sur plusieurs mois, trouvent leur sommet dans la grande procession qui rassemble plus de 100 000 personnes. À Saint-Junien, le vote très à gauche d’une grande partie de la population n’a donc pas éteint cette dévotion populaire.

Au cours de l’Histoire

Les Ostensions ont leur origine dans le clergé mais elles n’ont perduré, avec une telle ampleur, que parce que la population était très attachée à « ses » saints. L’Église a dû, à certains moments, encadrer cette dévotion et proscrire le culte rendu parfois indûment à des saints dont l’existence historique n’était pas assurée. Les Statuts synodaux du diocèse de Limoges publiés en 1619 par

Mgr de La Marthonie comme ceux publiés en 1629 par Mgr de La Fayette ordonnent que les reliques qui seraient conservées dans des familles ou des chapelles privées soient apportées au curé de la paroisse qui seul devra les conserver et décider de leur « ostension ».

Sous la Révolution, les limitations successives de la liberté de culte, le serment imposé au clergé, puis la déchristianisation brutale qui tente d’imposer de nouveaux cultes (Raison, Être suprême) vont faire disparaître, pour un temps, les Ostensions. Néanmoins les reliquaires ont quasiment tous été préservés. Le 27 mars 1791, un premier décret de l’Assemblée nationale avait ordonné que « l’argenterie des églises, chapitres et communautés religieuses qui a été ou qui pourra être jugée inutile au culte (sic) » soit envoyée à l’Hôtel des Monnaies de chaque département ; l’or et l’argent des objets confisqués devant être séparés et envoyés à Paris pour être fondus et contribuer à rétablir les finances de l’État. Sous la Terreur, en 1793 et 1794, d’autres décrets plus sévères encore seront pris par la Convention nationale sous le prétexte de contribuer à la « défense de la Patrie » ou des confiscations arbitraires seront faites au niveau local. Dans le Limousin, si nombre de ciboires, de calices, d’ostensoirs, de chandeliers ont été livrés par les autorités municipales ou pillés, la population refusera qu’on enlève les reliquaires de « leurs » saints.

À Limoges même, l’antique abbaye Saint-Martial commença à être détruite en 1792, pour en tirer des matériaux de construction, et sera complètement rasée en 1807 (les fondations en ont été remises à jour depuis quelques années par les archéologues). Mais les reliques du saint ont été gardées par les membres de la Grande Confrérie de Saint-­Martial.

Après le Concordat, la pratique des Ostensions put reprendre, à partir de 1806. Au début de la Restauration, le préfet de la Haute-Vienne signale dans un rapport la renaissance des Ostensions. Il les décrit comme des « fêtes religieuses » et note que ce sont presque les seules fêtes que connaît la population : « Chaque paroisse a son saint qui jouit d’une réputation plus ou moins étendue… Les fêtes patronales y attirent communément un grand nombre de personne de l’un et l’autre sexe ; les uns y sont conduits par l’espoir de la guérison de leurs maux, et le plus grand nombre par l’attrait des plaisirs. » À la même époque, l’évêque de Limoges tente de dissocier la vénération des reliques de ces fêtes trop profanes. Un « Catéchisme des Ostensions de Limoges » est édité en 1827.

Durant les premières décennies de la IIIe République, la politique anticléricale aboutit à l’interdiction des processions à Limoges. Les Ostensions se feront, pour un temps, à l’intérieur du sanctuaire. Mais à la même époque de nouvelles Ostensions sont organisées ailleurs : à Aixe-sur-Vienne à partir de 1876, à Chaptelat à partir de 1883.

Cette dernière ville est le lieu de naissance du grand saint Éloi, le célèbre conseiller des rois mérovingiens Clotaire II et Dagobert, devenu évêque de Noyon. En 1846, un prêtre originaire du nord de la France, l’abbé Rousseau fut nommé curé de la paroisse de Chaptelat. Il s’attacha à répandre le culte de saint Éloi. En 1883, il obtint du chapitre de la cathédrale de Noyon une relique du saint, fit faire un reliquaire précieux puis organisa une grande procession pour la fête de saint Éloi. Chaptelat a dès lors figuré tous les sept ans dans les communes ostensionnaires.

« Un chemin de guérison »

En décembre 2013, l’Unesco a inscrit les Ostensions limousines au Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, en même temps qu’une trentaine d’autres évènements ou pratiques, tel le « xooy » qui est une cérémonie divinatoire chez les Serer du Sénégal. Il n’est pas sûr que cette sélection par l’Unesco soit une bonne nouvelle pour les Ostensions. Certes, cela peut attirer des subventions publiques et des touristes, mais ce label « culturel » risque d’accentuer la dérive touristique de l’évènement qui s’observe déjà depuis plusieurs années. D’autres grandes manifestations populaires qui ont une origine religieuse, par exemple la Fête des Lumières à Lyon, ont connu ce genre de récupérations commerciales et touristiques.

Mgr François Kalist, évêque de Limoges, dans son message du 10 décembre 2015 en préparation des cérémonies ostensionnaires de 2016, a voulu rappeler la dimension religieuse et profondément spirituelle de l’évènement : « La vénération des saints limousins et l’engagement contre les maux dont souffre la société actuelle doivent aller de pair. Il nous revient à tous, en recourant à l’intercession des saints, de porter dans la prière les intentions de notre Église diocésaine, de prêter notre soutien spirituel à sa mission d’évangélisation aujourd’hui. Il nous revient pareillement de prendre part au combat contre les maux de ce temps. Les saints vénérés sur la terre limousine sont autant de modèles qui peuvent inspirer et soutenir notre action : saint Léonard auprès des prisonniers ; saint Fiacre auprès de ceux qui travaillent la terre et qui œuvrent pour la sauvegarde de l’environnement ; saint Côme et Damien auprès des personnes malades et de tous ceux qui les soignent ; saint Éloi, à la fois religieux, artiste et homme politique ; sainte Valérie, témoin du Christ jusqu’au martyre ; de même pour tous les autres, chacun selon son charisme. ».

Voir aussi le calendrier des Ostensions limousines 2016 et les informations des vingt lieux ostensionnaires de 2016 sur le site des Ostensions.

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