Messe des Anges :
Commentaire musical du Kyrie 8
Ce Kyrie est le plus connu de toute la série des 31 Kyrie grégoriens. C’est aussi le plus tardif puisqu’il est daté des XVe-XVIe siècles. Assez curieusement, puisque ce n’est pas le plus facile à chanter, c’est presque le seul qui est resté dans la mémoire collective du Peuple de Dieu après le Concile Vatican II et les déboires liturgiques qui ont suivi. Le chant grégorien a disparu presque totalement des paroisses, mais ce Kyrie, mystérieusement, s’est maintenu, et continue d’être chanté par cœur.
Son schéma est très simple : abcc’, le dernier Kyrie reprenant la mélodie du précédent en lui ajoutant la répétition d’une de ses formules.
L’attribution de ce Kyrie au 5e mode a été contestée. On a considéré que sa composition tardive le rapprochait de l’époque où la musique, de modale, devient tonale, et on a vu en lui une mélodie en Fa majeur. De fait, la présence systématique du Sib assimile la structure mélodique de ce Kyrie à la gamme de Do, transposée en Fa, les demis-tons se retrouvant au même endroit :
Do Ré Mi Fa Sol La Si Do
Fa Sol La Sib Do Ré Mi Fa
Mais ce phénomène est courant dans le Kyriale, et on trouve des pièces du 5e mode, mode de Fa, beaucoup plus anciennes, qui se déploient exactement dans la même atmosphère modale que notre Kyrie 8. Par exemple les Sanctus 9 ou 17.
Ferdinand Haberl écrit à juste titre [1] : « Il n’y a aucun motif de disqualifier ce Kyrie pour son caractère de tonalité majeure, étant donné qu’il suit fidèlement les lois des compositions médiévales du Kyrie, et même les met en évidence avec le plus grand équilibre. » Il répond ainsi à un auteur qui avait écrit lui-même en 1964 : « Cette messe composée aux XVe-XVIe siècles est de structure mélodique et tonale absolument moderne et de composition nettement polyphonique. Il serait bon de la bannir du Graduel et de ne plus la chanter tant elle est devenue une cendrillon maltraitée. » [2]
En règle générale, les trois premiers Kyrie ont leur mélodie, les trois Christe la leur, les trois derniers Kyrie la leur ; par contre le mot eléison est dans tous les cas traité de la même manière. De même, conformément aux règles de composition de la plupart des Kyrie, les deux premières syllabes du mot Kyrie, et la première syllabe du mot Christe, sont traités très sobrement, tandis que le déploiement mélismatique se fait sur la dernière syllabe de chaque mot.
Les trois premiers Kyrie ont une mélodie ascendante, qui part du Fa, s’accroche au Do, après avoir donc fait entendre le Sib, module autour du Do en allant toucher le Ré et le Sib en passant, puis atteint le Fa aigu, avant de redescendre d’abord jusqu’au Do, puis, à partir du Do, jusqu’au Fa grave, sur eléison.
Les trois Christe sont plus humbles, plus piano, plus larges. La mélodie part du La, puis s’incurve vers le grave et va toucher le Mi avant de s’appuyer sur le Fa pour remonter vers le Do. L’effet de sensible (Fa-Mi-Fa) peut contribuer à faire classer ce Kyrie parmi les pièces tonales : le chant grégorien antique ignore en effet ce phénomène musical de la sensible. Mais il ne s’agit pas là d’une véritable cadence. La remontée du Fa jusqu’au Do fait retrouver la mélodie du Kyrie, mais sans sa partie finale et plus aiguë.
Les trois derniers Kyrie, enfin, partent du Fa aigu. On a donc, entre la finale de eléison et le début du Kyrie, un intervalle d’octave, du Fa grave au Fa aigu. La belle mélodie se déploie dans les hauteurs entre le Fa et le Do, puis plus bas, entre le La et le Do, avant de faire entendre une nouvelle fois la formule de eléison. Le tout dernier Kyrie, quant à lui, répète une seconde fois la mélodie qui affecte les trois syllabes de Kyrie, avant de retrouver la mélodie du Kyrie précédent.
Si l’on veut bien chanter ce Kyrie, il faut lui donner beaucoup de liant, beaucoup de douceur, bien suivre la ligne mélodique et donner aux notes pointées une vie, une chaleur qui les fait attaquer doucement puis trouver de la vigueur.
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