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Né en France dans une famille chaldéenne venant des montagnes séparant l’Irak de la Turquie, l’abbé Daniel Sabur (FSSPX) a la particularité de célébrer la messe traditionnelle latine et le rite chaldéen, en l’église Saint-Mathias de Pontoise. Il explique pourquoi. Entretien.
| Comment s’est créée la chapelle Saint-Mathias, accueillant à la fois les messes traditionnelles latine et chaldéenne ?
La chapelle, ancienne grange aménagée de belle façon, a été installée vers 1980, à la demande de fidèles pour accueillir la messe traditionnelle de rite latin.
En ce qui concerne le rite chaldéen, il faut savoir qu’une première proposition de réforme avait été présentée en 2006 mais que Benoît XVI l’avait refusée. Une autre, modernisant plus substantiellement la messe, a été autorisée par le préfet de la Congrégation des Orientaux sous le pape François en 2014, mise en application par le patriarche Louis-Raphaël Ier Sako et instaurée en région parisienne en mars 2015.
C’est alors que des fidèles chaldéens, qui s’étaient tournés d’abord vers le rite latin traditionnel, ont écrit à l’abbé Bouchacourt, à l’époque supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X, pour lui demander de pouvoir retrouver leur rite traditionnel. Ils savaient que je pourrais être en mesure de célébrer ce rite en araméen liturgique – ce que je fais depuis 2016, tout en célébrant dans la chapelle le rite latin pour les fidèles qui y sont attachés.

La chapelle Saint-Mathias, à Pontoise. © CC BY-SA 3.0, P.poschadel
| Par définition, la chapelle Saint-Mathias n’est pas tout à fait adaptée au rite chaldéen ?
Effectivement, puisqu’elle a été conçue au départ pour le rite latin. Mais certains éléments typiques, comme la courtine ou le béyma, ne sont pas absolument nécessaires : la courtine – rideau qui sépare les fidèles du chœur – n’était dans la plupart des cas plus utilisé, même avant la réforme, et le béyma – tribune située au milieu des fidèles, où le prêtre célèbre la première partie de la messe – n’existe que dans les églises qui ont assez d’espace pour l’accueillir.
| De quels pays viennent vos fidèles, à la suite de quels événements sont-ils en France ?
Ils viennent majoritairement de Turquie, même s’ils sont chaldéens et non turcs. Ils ont été persécutés sur place, par les Turcs et les Kurdes. Ils ont répondu à un appel de la France dans les années 1970-1980. Les premiers venus ont signalé à leurs coreligionnaires que, dans ce pays, on pouvait pratiquer sa religion librement. D’autres arrivées ont eu lieu (1930, 1950, 1990, 2006…) depuis l’Irak, dues aux guerres ou persécutions antichrétiennes.
| Pour quelles raisons les fidèles chaldéens ont-ils demandé la célébration dans leur rite traditionnel ?
C’est pour le maintien de la foi, tout d’abord, et pour garder leur rite ancestral, qui remonte à l’apôtre Thomas et à deux des 72 disciples de Notre-Seigneur, Addaï et Mari. Tous les liturgistes qui s’intéressent aux rites orientaux soulignent que la messe chaldéenne est celle qui a le plus gardé son caractère antique, ayant été très peu modifiée au cours des siècles.
| Les fidèles chaldéens parlent-ils de la « Messe » ou de la « Divine Liturgie » ?
Ils utilisent le terme de raza, mot qui signifie « mystère ». On dit raza quadisha, c’est-à-dire « mystère saint ».
| Vous qui officiez dans les deux rites, latin et chaldéen, quelle principale différence constatez-vous entre eux ?
La façon dont est marquée la participation des fidèles à la messe et aux prières du prêtre. Le rite latin traditionnel incite les fidèles à s’unir par la contemplation et la prière intérieure, d’où les multiples temps de silence, de chant ou les morceaux d’orgue ; tandis que la messe chaldéenne fait prier les fidèles à voix haute soit pour répondre au prêtre, soit en suivant les exhortations des chantres. En gros, la participation est beaucoup plus intérieure dans le rite latin même si cela n’exclut pas le côté extérieur ; tandis que dans le rite chaldéen, la participation est plus extérieure afin d’amener la prière intérieure.
| Et quelle parenté voyez-vous ?
L’adoration de Notre-Seigneur. Dans le rite latin, l’adoration est très belle, avec les génuflexions, le Domine, non sum dignus devant l’hostie ; les chaldéens aussi se mettent à genoux devant l’Eucharistie, ils chantent la louange du Seigneur présent sous les apparences du pain et du vin.
| Êtes-vous le seul prêtre, en France en tout cas, à célébrer dans ces deux rites ?
Oui, je pense ! En tout cas je n’en connais pas d’autres. Quant à moi, je le fais par nécessité. Je précise que certains prêtres chaldéens aux États-Unis, assez peu nombreux, qui, avec la permission de leur évêque, avaient adopté la réforme de 2006, s’en tiennent toujours à cette version de la messe.
| Devenus catholiques dans la lignée de saint Thomas, les chaldéens ne se sont-ils pas séparés assez tôt de Rome ?
Effectivement, la séparation s’est faite dès le Ve siècle, de façon progressive, avec des jalons en 410, 424, puis 484, avec l’adoption de l’hérésie nestorienne, prétexte à se séparer nettement de Rome. Mais le contact ne s’est jamais vraiment perdu. On note par exemple en 1245 de nombreux échanges de lettres avec le Saint-Siège. Ce n’est qu’en 1553 que l’on parle réellement d’union, sous le pontificat de Jules III. Un moine, envoyé par trois évêques à Rome, Jean Soulaqa, a plaidé cette cause près du Pape, qui l’a entendu, l’a sacré évêque et l’a établi patriarche des chaldéens.
| À cette date, seule une partie des chaldéens rejoint Rome ?
Oui, une partie seulement. Les autres appartiennent à une Église qui existe encore, et nommée depuis « l’Église assyrienne », schismatique.
| À ce moment-là, les chaldéens ayant rejoint Rome ont-ils pu garder leur rite ?
Tout à fait ! Avec l’ajout du nom du pape durant le canon, et quelques légères latinisations, instaurées par le patriarche Joseph un peu plus tard, comme la préface – latinisations que nous avons gardées dans la messe traditionnelle.
| Je suppose que la réforme dont vous avez parlé, celle de 2015, les a supprimées ?
Effectivement, mais elle ne s’est pas contentée de cela, elle a bouleversé plus profondément notre rite. J’en donne pour exemple que le prêtre se tourne désormais vers les fidèles et non plus vers le Seigneur, qu’il peut concélébrer – ce qui est interdit dans notre rite traditionnel – ou qu’il a désormais le choix, lorsqu’il nomme la sainte Vierge, de l’appeler soit « Mère de Dieu » soit « Mère du Christ » – pour plaire aux nestoriens, en fait.
| Qu’en est-il de l’abandon du Filioque dans le Credo, demandé dans le même esprit ?
Ce changement n’est pas appliqué partout : certains chaldéens en tiennent compte, d’autres non. Je pense que c’est parce qu’il est difficile de déshabituer le peuple de cette formulation.
Chapelle Saint-Mathias
3 bd des Cordeliers
95300 Pontoise
Anne Le Pape a reçu l’abbé Sabur dans son émission « Voix au chapitre » sur Radio Courtoisie le 4 juin 2025.
Elle est aussi l’auteur de La Tradition liturgique. Les rites catholiques, latins et orientaux, reçus des apôtres, aux éditions de L’Homme Nouveau.
>> à lire également : Côté éditions | La Tradition liturgique, par Anne Le Pape








