Solidarnosc, des leçons pour notre temps

Publié le 19 Fév 2019
Solidarnosc, des leçons pour notre temps L'Homme Nouveau

Pierre-Etienne Penot, docteur en Histoire contemporaine et chargé de cours à l’ICES, organisait le mois dernier un colloque sur Solidarnosc et l’effondrement du communisme. Est-ce parce qu’il a lui-même vécu, enfant, en Pologne que le sujet lui tient à cœur ? Il y a des raisons qui lui sont propres, sans doute, mais aussi la dimension proprement stupéfiante de cette révolte polonaise sans laquelle l’Europe ne serait pas la même aujourd’hui.

Pierre-Etienne Penot revient pour nous sur ces trois journées de colloque riches d’enseignement.

Vous avez organisé, du 28 au 30 janvier dernier un colloque à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES) un colloque sur Solidarnosc et l’effondrement du communisme européen. Quel bilan tirez-vous de cette rencontre ?

Le bilan est très positif, tant pour les trois journées de colloque à proprement parler que pour la soirée consacrée aux témoins. Ce fut à la fois émouvant et instructif parce que les quelque 40 intervenants présents étaient également, pour beaucoup d’entre eux, des témoins directs et des acteurs de Solidarnosc et de l’effondrement du communisme. On peut donc dire, et c’est l’une des spécificités de ce colloque, que nous avons fait de l’Histoire orale, de la fabrication de sources. 

Plusieurs Polonais ont assisté au colloque. Ils ont pu découvrir ou redécouvrir une partie de leur histoire et nous ont remerciés pour cela. Il y a eu pendant trois jours une atmosphère d’amitié et de solidarité très forte qui ont porté ce travail de réflexion sur la Pologne et sa place essentielle — il faut le dire — dans la chute du Communisme.

Pourquoi ces trois jours sur Solidarnosc et la Pologne ? Ce thème vous tenait-il à cœur ?

Cela faisait déjà un moment que je réfléchissais à la manière dont nous pouvions célébrer, puisqu’il tombait en 2019, l’anniversaire de la chute du mur de Berlin en 1989. En outre, j’ai moi-même passé plusieurs années de mon enfance en Pologne, sous la loi martiale (entre 1980 et 1988), avec tout ce que cela implique d’éléments visuels qui peuvent frapper l’imagination de l’enfant que j’étais. J’ai, plusieurs années plus tard, fait ma thèse sur la Pologne. Aujourd’hui, j’enseigne à l’ICES où nous avons la chance de pouvoir proposer des projets d’envergure et celui du colloque a suscité beaucoup d’enthousiasme. Nous avons pris le parti de commémorer la chute du mur avec un peu d’avance, sachant qu’en novembre prochain de nombreux intervenants seraient déjà pris et sollicités pour d’autres évènements. 

La Pologne de Solidarnosc a-t-elle encore quelque chose à nous dire aujourd’hui ?

J’insiste sur ce point, il ne s’agit pas d’une histoire froide que l’on observe de loin, quelques décennies plus tard. Nous pouvons, nous devons regarder ce qui s’est passé en Pologne pour mener mieux nos combats actuels face aux nouveaux totalitarismes et fondamentalismes, surtout islamiste. Comme les Polonais face au communisme, nous devrions être capables de nous unir parce que ce qui nous menace est bien plus important que ce qui fait nos différences. La leçon polonaise est celle de l’unité et de la solidarité.

Ceux qui n’ont pas eu la chance ou l’occasion d’assister à ce colloque pourront-ils malgré tout avoir accès à tout ou partie des réflexions et témoignages qui y ont été donnés ?

Nous travaillons en ce moment même sur la publication des actes du colloque, qui seront édités en partenariat avec l’Institut littéraire Kultura. Nous souhaitons publier ces actes en format beau livre ce qui suppose un important travail de recherche d’iconographies et d’archives et l’ouvrage devra rendre compte des différentes dimensions du colloque, à la fois son caractère scientifique – disons classique – et tout ce qui concerne le témoignage direct. J’espère que les actes paraîtront d’ici mai ou juin et je tiens en particulier à ce qu’ils soient accessibles à tous. J’introduirai donc l’ensemble des contributions par un texte qui présentera les principaux acteurs de Solidarnosc et de l’effondrement du Communisme en Pologne, je présenterai cette période dans ses grandes lignes pour que tous ces témoignages soient lisibles, notamment par les jeunes qui n’ont pas connu cette époque. 

On parle de Solidarnosc comme d’une révolte, à minima, voire d’une révolution, deux termes assez étrangers à l’Église catholique qui a pourtant très largement soutenu ce mouvement historique. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut mesurer cette dimension fondamentale de l’Église polonaise de l’époque, qui avait un caractère révolutionnaire, transgressif même, pour des raisons historiques qui remontent au XIXe siècle au moins. À cette époque, les catholiques polonais étaient persécutés et la culture du pays était largement menacée mais les églises étaient les derniers lieux où l’on pouvait parler polonais, discuter de politique. Sans l’Église, c’est clair, la Pologne aurait disparu. De la même manière, dès 1945, l’Église a retrouvé ce rôle de gardienne de la culture polonaise, en devenant l’interlocuteur principal de l’État communiste. Adam Michnik expliquait dans L’Église et la gauche, quand Jean-Paul II1 est venu en Pologne en 1979, que l’Église était un « facteur déstabilisateur » pour le pouvoir en place. Et de fait, les grèves ouvrières se faisaient sous le portrait du pape et le drapeau du Vatican ! Il s’est passé, à cette époque, quelque chose de proprement hallucinant…

Des prêtres, beaucoup de prêtres sont morts à cette époque et j’ai vu, enfant, du sang devant les églises. Sans l’Église, sans la Pologne, l’Europe n’en serait pas là aujourd’hui.

1. Pour en apprendre plus sur Jean-Paul II, découvrez notre Hors-Série qui lui est consacré. 

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