Tempo di Roma en temps de crise

Publié le 08 Sep 2018
Tempo di Roma en temps de crise L'Homme Nouveau

C’est l’une des caractéristiques de L’Homme Nouveau de prendre son temps, de se donner la possibilité du recul et de la réflexion. Un réflexe professionnel, mais aussi une manière assumée, revendiquée même, de ne pas se laisser submerger par les conséquences de la modernité et de faire à cette dernière un joyeux pied de nez. Pourquoi courir quand tout le monde court, et que le monde, à l’évidence ne s’en porte pas mieux ? Notre temps est celui de Rome. Tempo di Roma, selon le beau titre du roman d’Alexis Curvers. Le temps de la Rome éternelle, celle qui a reçu en dépôt le trésor de la foi et qui, malgré les vicissitudes des temps, hier comme aujourd’hui, n’a cessé de le porter, de le défendre et de le transmettre. Tempo di Roma ! Le temps de Rome, celle de saint Pierre, de saint Grégoire le Grand, de saint Pie X, de tous les grands papes et de leurs serviteurs qui jusqu’à aujourd’hui nous ont permis de vivre au rythme de l’Église, au rythme du cœur de l’Église. 

Cette Église, dira-t-on, elle est bien mal en point. Nous assistons, en effet, depuis la parution du témoignage public de Mgr Carlo Maria Viganò à une scène étrange, remplie de bruits, de rumeurs et de jugements à l’emporte-pièce. Alors que le Saint-Père a choisi la voie du silence, on nous somme ici ou là de parler. De prendre parti pour ou contre Mgr Viganò comme si celui-ci formait le cœur du problème et l’épicentre du scandale. C’est bien sûr une ligne d’attaque, et donc de défense – mais alors, elle est très révélatrice des faiblesses de ceux qui la soutiennent – que de mettre en cause le messager plutôt que de s’attarder au message lui-même. Dans le quotidien La Croix, par exemple, on peut lire ce titre à la fois banal et ahurissant : « Qui est Mgr Viganò, l’ex-nonce par qui le scandale est arrivé ? » (6 septembre 2018).

Il est normal pour un journal de donner à ses lecteurs à connaître qui est Mgr Viganò dont les fonctions anciennes n’ont pas été mises sur le devant de la scène, au moins de la scène française. Mais ne rajoute-t-on pas un scandale au scandale, en l’accusant d’être à l’origine de celui-ci ? Mais de quel scandale parle-t-on ? Quel est ce scandale qui devrait soulever les cœurs catholiques : celui de la pédophilie et des réseaux homosexuels au sein de l’Église ou celui d’un homme qui a décidé de parler ? En voulant nous remettre de force devant les yeux le panneau « un train peut en cacher un autre », il semblerait que certains ne mesurent pas combien ils se font complices de ce qui relève de l’horreur absolue pour un cœur et une âme catholiques. 

S’il y a un scandale, il s’agit des faits révélés par Mgr Viganò et non d’abord parce que pour être en paix avec sa conscience, celui-ci a décidé de les divulguer au grand public. Il est quand même étrange, et donc suspicieux, de constater que les habituels défenseurs autoproclamés des droits de la conscience, invoqués à tout bout de champ au nom du respect des droits de l’homme, de la liberté religieuse, de la véritable application de Vatican II ou du droit à la miséricorde, s’offusquent aujourd’hui de voir Mgr Viganò réclamer de vivre en paix avec lui-même. Ne nous y trompons pas ! Il ne s’agit pas ici d’une erreur ou d’un jugement hâtif mais de l’habituel procédé qui refuse la liberté aux ennemis (déclarés tels) de la liberté.

Ce faisant, sommes-nous, nous aussi, complices ? Complices, par exemple, de Mgr Viganò ? On nous presse, en effet, de prendre parti. Avec cette idée en arrière-fond et son enchaînement pervers : si vous êtes pour Mgr Viganò, vous êtes contre le pape François, donc vous êtes de mauvais catholiques ou, pire, vous n’êtes même plus catholiques.

La preuve se trouverait dans le fait que Mgr Viganò a demandé au terme de son témoignage la démission du pape François. 

Et alors ? Mgr Viganò a pris sa responsabilité, au regard d’une situation qu’il connaît et des affirmations qu’il a voulu faire connaître pour le bien de l’Église. Par la grâce de Dieu et par état de vie, nous sommes des laïcs, par notre baptême, enfants de Dieu et rachetés par le Sang du Christ, au service de l’Église et de la cité, dans la perspective du bien commun. Mais, contrairement à la confusion qui s’est établie dans une partie de l’Église, nous ne confondons pas notre rôle avec celui des clercs et nous ne réclamons pas une partie (ni le tout, d’ailleurs) de ce qui leur revient. Nous croyons à la nécessité des distinctions et nous croyons même aux bienfaits des hiérarchies dès lors qu’elles s’exercent en vue du bien commun. Nous ne croyons pas non plus aux bienfaits supposés de la démocratie dans l’Église et à cette pureté qui s’imposerait comme par magie du fait qu’elle viendrait du bas. Plus encore, nous croyons que le Christ a fondé l’Église et qu’Il l’a établie sur Pierre et les Apôtres et leurs légitimes successeurs. 

Il ne nous appartient donc pas de demander la démission du Saint-Père, ni même d’œuvrer pour que d’autres la demandent. Ce n’est pas notre vocation. 

Encore une fois, Mgr Viganò a pris ses responsabilités, nous prenons les nôtres, là où nous sommes, en priant pour ne pas trop nous tromper et en espérant être assez éclairés pour bien servir le Christ et son Église. 

Celle-ci, dans son enseignement, s’est toujours appuyée sur ce que le pape Jean-Paul II appelait les « deux ailes » pour parvenir à la contemplation de la vérité : la foi et la raison. Non pas la foi isolée, seule, ni non plus, la raison, également solitaire. Mais l’union féconde de l’une et de l’autre. On ne sépare pas ce que Dieu a uni.

Notre rappel des limites de notre vocation de laïcs, et notre maintien dans ces limites, nous enjoignent de croire en la divinité de l’Église, mais ne nous interdisent nullement de vouloir comprendre, au mieux, ce qui se passe actuellement au sein de celle-ci. 

Concernant plus précisément les faits révélés par Mgr Viganò dans son texte de témoignage, nous souhaitons, au fond, deux choses : 

1°) Que chaque affirmation de Mgr Viganò soit étudiée et jugée selon le droit de l’Église. Ses affirmations sont suffisamment graves et précises pour que l’Église ne puisse se contenter de les balayer comme s’il s’agissait d’un simple mouvement d’humeur. Il y va au fond du salut des âmes. 

2°) Que l’Église profite de cet évènement pour se purifier et retrouver toute la fidélité à son fondateur et à sa mission, étant bien entendu que nous parlons ici des hommes d’Église et non de l’Église en tant qu’elle est le Corps mystique du Christ, sainte et immaculée.

Ici ou là, nous constatons que l’on accuse Mgr Viganò de telle ou telle pensée, de tel calcul, de tel désir plus ou moins caché, plus moins secret. Mais depuis quand dans l’Église juge-t-on les intentions et sonde-t-on les reins et les cœurs ? Depuis quand la calomnie est-elle devenue une vertu ? Même au confessionnal, si le confesseur peut prendre en compte les intentions qui lui sont révélées, c’est essentiellement les actes qu’il juge et pour lesquels il demande une réparation proportionnée.

Nous ne sommes ni les juges, ni les défenseurs de Mgr Viganò. Nous essayons, à notre mesure et selon nos capacités, d’être les serviteurs de l’Église. Avec saint Ambroise, nous nous souvenons que l’Église est « immaculata ex maculatis », immaculée mais constituée d’hommes tachés par le péché. 

Pour que les hommes entachés par le péché se rapprochent de plus en plus de la blancheur immaculée de l’Église, il faut d’abord reconnaître son péché, en avoir contrition, demander pardon et réparer dans la mesure du possible. C’est la condition essentielle pour commencer à retrouver le chemin de la purification. 

Il faut ensuite comme nous y invite le Prince des Apôtres, être sobre et vigilant, car, explique saint Pierre en sa première Épître « votre adversaire le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer ; résistez-lui fort de votre foi. »

Cependant, il est évident que même lorsque chaque point du document de Mgr Viganò aura fait l’objet d’une enquête, d’une réponse appropriée et de décisions à la hauteur de l’enjeu de la part de l’autorité légitime, il faudra maintenir le cap, non seulement pour cette purification nécessaire, car la vérité rend libre, mais aussi pour restaurer l’Église dans toute sa splendeur. 

Nous voyons bien qu’ici ou là, on profite de la situation dramatique actuelle pour faire monter des idées et des « solutions » d’un naturalisme aussi inapproprié qu’inadéquat. Comment peut-on croire que la solution pour l’Église se trouverait dans une plus grande responsabilité donnée aux laïcs, dans une synodalité plus importante, dans des rapports plus démocratiques, dans une place accrue donnée aux femmes, dans une collégialité étendue à toute l’Église, dans la chasse ouverte au cléricalisme, etc. ?

S’il y a les fautes personnelles de ceux qui ont failli, s’il y a la responsabilité de ceux qui se sont organisés en réseaux, il convient de ne pas oublier aussi que l’un des aspects essentiels de la situation de l’Église aujourd’hui se trouve dans cet horizontalisme qui a réduit la foi catholique à un vague sentimentalisme, sans exigences doctrinales ni morales, avec l’oubli gravissime de ce que sont le Salut et le besoin des âmes. Le péché a toujours existé ; des clercs comme des laïcs ont toujours trahi, parfois gravement, aux exigences de leur baptême et du nom de chrétien. Mais toujours ces trahisons personnelles ont été amplifiées aux époques où la foi, le souci du Salut, du bien des âmes, des fins dernières s’étaient trouvés comme voilés aux yeux du plus grand nombre. 

La crise que nous traversons aujourd’hui prend son appui sur un scandale absolu, mais elle ne se limite pas à ce scandale. Ses racines sont plus profondes, son influence beaucoup plus étendue. Il y a certes le feu et il faut l’éteindre, c’est-à-dire purifier l’Église pour le rendre à elle-même, c’est-à-dire à son Divin Époux. Mais il y a aussi la nécessité de sortir de la crise de la foi, de cette horizontalité, de ce naturalisme, de cette mondanité qui réduit la foi à un vague humanitarisme teinté de spiritualité et l’Église à une institution d’animation spirituelle mondiale. 

Seul le Pape, les cardinaux et les évêques peuvent prendre les décisions nécessaires. Nous laïcs, nous pouvons prier à cette intention et grandir dans la foi et la sainteté, Dieu aidant. C’est pourquoi, notre demande est simple :

Très Saint-Père, rendez-nous l’intégrité de la foi catholique pour que nous puissions vivre intégralement en chrétien. 

Pour notre part, en ces temps de désolation, nous renforçons notre vie de prière, en recourant à l’oraison et au bréviaire, en augmentant notre recours aux sacrements, en nous abreuvant à la source de la doctrine la plus certaine et de la spiritualité la plus sûre, faisant fi des modes, même spirituelles, faisant fi des théologiens de circonstance ou autoproclamés, mais leur préférant sans hésitation la voix des saints papes et des conciles, des Pères et des Docteurs de l’Église, des grands saints et des martyrs. 

Sans le recours à la doctrine catholique, aux sacrements catholiques, au sacerdoce catholique, à la prière catholique, surtout des vierges et des moines, il n’y aura pas de vraie sortie de ce temps de crise.

Mais même dans la boue, nous croyons en la sainte Église, catholique et apostolique. Nous croyons en sa blancheur. Et, nous l’aimons ! Notre temps est décidément celui de la Rome éternelle.

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