Un anniversaire : Charles Péguy

Publié le 05 Sep 2017
Un anniversaire : Charles Péguy L'Homme Nouveau

Ce 5 septembre marque le cent-troisième anniversaire de la mort au champ d’honneur de Charles Péguy, tué dans la contre-attaque devant Villeroy qui préluda à la victoire de la Marne. Il est bon de revenir sur cette figure héroïque et inclassable.

Péguy n’entre pas dans les catégories préétablies. Né le 7 janvier 1873 à Orléans, dans une famille très modeste, élevé par sa mère rempailleuse restée prématurément veuve, il poursuit ses études secondaires et supérieures en tant que boursier. Il s’en  croira toujours redevable à la IIIe République et cela explique son loyalisme envers un régime dont, en vieillissant et confronté à la réalité, il méprisera toujours davantage le personnel qu’il épingle sans pitié :

« L’idéal, c’est de mourir pour ses idées ; la politique, c’est d’en vivre. »

Ferveur républicaine

Cette ferveur républicaine sincère devrait faire de lui un homme de gauche, Péguy se décrit d’ailleurs comme socialiste. Cependant, très vite, ces étiquettes ne correspondent plus à ses sentiments intimes, ni au combat hors norme qu’il mène. C’est que Péguy est un homme de la terre, un enraciné, et que tous les rêves internationalistes lui demeurent étrangers. Ce paysan de la Beauce et du Bourbonnais ne sera jamais un « citoyen du monde » et c’est ce qui le sauvera. Il aime la France par toutes les fibres de son être, incapable de s’acoquiner avec ceux qui la braderaient au premier venu. C’est pourquoi il applaudira, en juillet 14, l’assassinat de Jaurès qu’il croyait capable de toutes les lâchetés en cas de défaite française face à l’Allemagne. Et pourquoi, alors qu’âgé de 41 ans, il devrait être versé dans la territoriale, il insiste pour rester dans les cadres d’active, choix qui lui vaudra de tomber au champ d’honneur parmi les premières victimes du conflit.

Jeanne d’Arc

Parce qu’il aime la France, il aimera Jeanne d’Arc, sainte Geneviève, et la Vierge Marie qui ramèneront cet agnostique à la foi de son enfance, une foi combative, propre à heurter quelques bonnes consciences trop étroites pour saisir sa vision peu sulpicienne mais puissante du catholicisme. Saint Pie X s’opposera à sa mise à l’Index, mesurant ce que cette parole libre, forte, imprégnée de piété vraie apportera au siècle qui vient et le réconfort que tant d’âmes y puiseront.
Autant dire que ce Péguy catholique, patriote, farouchement « anti-boche », n’a rien pour plaire à notre époque. Il s’en doutait, lui qui dénonçait les dérives de la modernité, « la stérilité moderne », « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien », avec des accents qui, sortis de leur contexte daté, ont quelque chose de prophétique. Qu’on relise, parmi d’autres, ce texte posthume, Nous sommes des vaincus, qui s’applique, si terriblement, à ce que cette chrétienté qu’il aimait vit aujourd’hui :

« Nous sommes des vaincus. […] Aujourd’hui, dans la décroissance, dans la déchéance des mœurs politiques et privées, nous sommes littéralement des assiégés. Nous sommes dans une place en état de siège. […] et toute la plaine est abandonnée, toute la plaine est aux mains de l’ennemi. […] Nul aujourd’hui, nul homme vivant ne nie, nul ne conteste, nul ne songe même se dissimuler qu’il y a un désordre; un désordre croissant et extrêmement inquiétant ; non point en effet un désordre apparent, un trouble de fécondité qui recouvre un ordre à venir, mais un réel désordre d’impuissance et de stérilité, nul ne nie plus ce désordre, le désarroi des esprits et des cœurs, la détresse qui vient, le désastre menaçant. Une débâcle. C’est peut-être cette situation de désarroi et de détresse qui nous crée, plus impérieusement que jamais le devoir de ne pas capituler. Il ne faut jamais capituler. »

« En temps de guerre, celui qui ne se rend pas est mon homme, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne et quel que soit son parti. Il ne se rend point, c’est tout ce qu’on lui demande. » disait-il aussi.

Nous sommes en guerre

Nous sommes en guerre, et comme jamais peut-être nous l’avons été. Il semble même, à certaines heures, que la guerre est perdue, la citadelle tombée et que nous luttons absurdement sur des bastions dérisoires tandis que toutes les portes de la place sont ouvertes et l’ennemi déjà en train de fêter sa victoire. Cette « situation de désarroi et de détresse » que Péguy pressentait, c’est la nôtre.
Alors, suivons son conseil : ne capitulons pas.
 

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneCultureÉducation

John Senior (3/3) : Mount Wonder, un roman unique sur une aventure intellectuelle exceptionnelle

DOSSIER « Enquête sur le mystère John Senior » | Ancien élève de John Senior, Scott J. Bloch est aujourd’hui avocat mais aussi scénariste de documentaires. Il a également travaillé pour une agence fédérale américaine. Coéditeur d’un recueil des écrits d’Hilaire Belloc, il a consacré son premier roman, Mount Wonder, au programme de formation aux humanités (IHP) de John Senior, recréant cette aventure universitaire hors du commun. Non (encore) traduit en français, Mount Wounder allie les qualités d’un roman policier à celles d’une quête existentielle et religieuse. Entretien.

+

john senior
À la uneCultureÉducation

John Senior (2/3) : L’univers de John Senior en sept points 

DOSSIER « Enquête sur le mystère John Senior » | En 1991 paraît en France un livre au titre lumineux et programmatique : La Restauration de la culture chrétienne. L’auteur, John Senior, est américain et inconnu. Professeur de littérature, c’est aussi un converti qui a été avec deux autres confrères à la tête d’un programme à l’université du Kansas qui a conduit des centaines d’étudiants à devenir catholiques alors même que la religion n’y était jamais explicitement abordée. La parution en France de sa biographie par l’un de ses anciens étudiants devenu moine bénédictin offre l’occasion de revenir sur cet homme et de répondre à ces simples questions : qui était John Senior et quel est exactement son message aux hommes d’aujourd’hui ?

+

john senior
CultureÉducation

John Senior (1/3) : La restauration du réalisme

DOSSIER « Enquête sur le mystère John Senior » | Moine bénédictin de l'abbaye de Clear Creek aux États-Unis, dom Francis Bethel est l'auteur d'une biographie fouillée consacrée à John Senior et qui vient d'être publiée en français aux éditions DMM. Dans cet entretien exclusif, il souligne la fécondité intellectuelle, morale et spirituelle de ce professeur de littérature à l'origine de plus de 200 conversions.

+

john senior