Un berger craignait ses moutons. C’était pitié à voir. Tordu, recroquevillé sur ses angoisses, il n’avait jamais relevé la tête sur sa somptueuse vallée pastorale. Il n’avait pour horizon que ses souliers qui, hélas, avaient peu fréquenté le monde et sa misère.
Un berger craignait ses moutons. C’était pitié à voir. Il les réunissait, à heure fixe, toutes les semaines, pour gémir. Eux espéraient qu’on leur dise les riants pâturages et les folles cabrioles de l’autre versant de la montagne… mais lui, détricotait leurs espérances.
Un berger craignait ses moutons. C’était pitié à voir. Il craignait surtout ceux qui bêlent à en perdre la laine, qui rêvent d’en découdre avec du loup. Il leur préférait les plus chétifs, ceux de Panurge, toujours prêts à sauter pieusement dans l’absurde.
Un berger craignait ses moutons. C’était pitié à voir. Esculape névrosé, au son confus de la première rumeur, il musèle le troupeau et ferme la bergerie anathémisant tous ceux qui voudraient nourrir ses bêtes.
Un berger craignait ses moutons. C’était pitié à voir. Frustré par un bélier rétif, il flétrissait sa descendance, frappant d’impureté le sang du téméraire qui avait osé se cabrer.
Un berger n’aimait pas ses moutons. Ses moutons le plaignaient. Il n’avait jamais connu la paix. Il n’a jamais connu la joie.
Il n’était pas le seul. Tant d’autres comme lui.
Puisse-t-il trouver la liberté du bélier.
Puisse-t-il goûter la joie de l’agneau.
Puisse-t-il ne plus avoir peur.
Jamais.
Puisse-t-il découvrir le cœur de son patron et l’horizon du Bon Berger.