En ce 19 avril 2005, un large sourire illumine le visage de tous nos amis. Certains ont sorti le champagne. Le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, vient d’être élu pape. Il sera Benoît XVI, renouant avec la tradition bénédictine et plaçant son pontificat sous le patronage du père des moines d’Occident et saint patron de l’Europe.
Qui eût cru qu’un tel enthousiasme aurait pu saisir les fidèles attachés à la Tradition, en particulier liturgique, immémoriale de l’Église ? En effet après avoir mené de brillantes études universitaires, l’abbé Ratzinger était devenu, lors du concile Vatican II, l’expert du cardinal Frings, archevêque de Cologne, un des chefs de file des « réformateurs ».
Très rapidement cependant, ce brillant intellectuel émet des réserves sur « l’esprit du Concile » (Le Nouveau Peuple de Dieu », 1971). Nommé préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi en 1981, le nouveau préfet doit faire face à une situation catastrophique : développement de la théologie de la libération en Amérique latine, crise des vocations et effondrement de la pratique religieuse en occident, mise à jour de scandales d’abus sexuels sur mineurs dans l’Église, en particulier aux États-Unis, puis en Irlande, créativité liturgique toujours échevelée, etc.
L’heure de l’optimisme conciliaire est passée. En 1983, dans deux conférences retentissantes à Paris puis à Lyon, le cardinal assène : « Ce fut une première et grave faute de supprimer le catéchisme et de déclarer dépassé le genre du catéchisme (…) On n’a plus le courage de présenter la foi comme un tout organique ».
En 1985 il publie, avec Vittorio Messori, Entretien sur la foi. Ayant pris acte de l’échec du concile Vatican II, il appelle à le « redécouvrir », dénonçant : « Une certaine liturgie postconciliaire devenue opaque et ennuyeuse à cause de son goût pour le banal et le médiocre, au point de donner le frisson ».
En 1988, il s’attache à régulariser la situation canonique de la Fraternité Saint-Pie X dont le fondateur Mgr Lefebvre est à la fois attaché à la liturgie traditionnelle et critique sur certains textes du Concile. Cette tentative n’aboutit pas.
Sans être traditionaliste, ayant accepté la réforme liturgique, le cardinal Ratzinger a néanmoins été blessé par la manière brutale dont cette réforme a été imposée et par l’injustice qu’elle constituait vis-à-vis de ceux dont le seul crime était de vouloir continuer à prier et croire comme le faisaient leurs anciens.
Par le motu proprio Ecclesia Dei du 2 juillet 1988, Jean-Paul II accorde aux communautés traditionnelles qui ont rompu avec Mgr Lefebvre, après son sacre sans mandat pontifical de quatre évêques, l’usage de la liturgie traditionnelle. Autorisation qui sera étendue à tous les prêtres et à l’Église universelle par Benoît XVI dans le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007.
Le cardinal Ratzinger a toujours été d’une grande constance sur ce sujet : « L’Église dans toute son histoire n’a jamais aboli ou interdit des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’esprit de l’Église » (26 octobre 1988) ou « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous et ne peut à l’improviste se trouver interdit voire totalement déconsidéré. » (Summorum Pontificum)
Après le pontificat de Jean-Paul II qui avait rendu à l’Église sa visibilité et sa fierté – « N’ayez pas peur ! » – le pontificat de Benoît XVI se veut résolument christocentrique. « Ce n’est pas d’une Église plus humaine dont nous avons besoin mais d’une Église plus divine » (Rimini, 1990). D’où l’importance accordée à la défense de la foi et à son « expression la plus élevée et la plus parfaite : le culte divin » (cardinal Burke).
Ainsi le nouveau pape instaure, lors des JMJ, un temps d’adoration du saint sacrement. À Madrid, le 20 août 2011, 1 million de jeunes, après une tempête digne des quarantièmes rugissants, se recueillent dans un silence sépulcral au pied de Jésus-hostie.
Enfin, l’ancien professeur, soucieux de l’unité de l’Église, gardien du dépôt de la foi mais aussi héritier du Concile auquel il participa, s’attache à défendre ce qu’il appelle l’herméneutique de la continuité, c’est-à-dire la continuité entre l’enseignement préconciliaire et l’enseignement conciliaire.
Tâche ardue pour le théologien qui écrivait en 1982, dans Les Principes de la théologie catholique, que la constitution conciliaire Gaudium et Spes était un contre-Syllabus (texte de Pie IX, en 1864, condamnant les erreurs modernes).
Alors que Benoît XVI a, aujourd’hui, comparu devant le Juste Juge, nous rendons grâce à Dieu pour le père qu’il fut pour nous. D’autres diront, mieux que moi, son intelligence, sa culture, sa foi, sa douceur, son humilité. Je retiendrai qu’avec lui nous avions, enfin, un pape qui était aussi un père qui nous aimait et nous comprenait. Ce n’est pas si fréquent !
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