Notre quinzaine : Quand lire est un enjeu pour l’avenir de l’humain

Publié le 19 Nov 2025
enfant albums lire

© freepik

> Éditorial de Philippe Maxence

 

80 ans, c’est un bel âge pour mourir. C’est ce que ma grand-mère aurait pu dire, après avoir connu deux guerres mondiales, d’abord comme jeune fille puis comme mère de famille. Mais Dieu décida qu’elle pouvait attendre et qu’il viendrait la surprendre un matin sans que l’on vît rien venir. Rien, sinon le poids des ans !

80 ans, ce sera justement l’âge de L’Homme Nouveau en décembre 2026.

À une époque où les journaux papier disparaissent les uns après les autres, passant pour certains au seul numérique afin de survivre, il est hors de question de bouder notre satisfaction. Nous la devons d’abord à la foi de ceux qui ont réalisé ce journal, destiné non pas à satisfaire des intérêts mondains et financiers mais à défendre « la seule cause de Dieu ».

Nous la devons aussi à nos fidèles lecteurs que nous remercions également pour leur confiance renouvelée. 

Un changement de civilisation

Toutefois, ce sentiment ne saurait être le seul à être convoqué. Il faut aussi discerner les enjeux de l’heure. Contentons-nous, ici, de certains aspects bien délimités. Depuis des décennies, le niveau de lecture ne cesse de s’effondrer. Un basculement s’opère, signe d’un changement de civilisation. La galaxie Gutenberg s’éloigne et nous entrons dans un autre univers. 


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Ne souriez pas ! Vous en êtes, nous en sommes, à la fois les spectateurs, le plus souvent navrés, et les acteurs, même si c’est souvent à notre corps défendant. Les jeunes générations ne lisaient déjà plus ; les seniors (comme on dit pudiquement) leur ont emboîté le pas. Les fameux CSP+ (catégories socioprofessionnelles supérieures) ont décidé de se mettre au niveau des CSP-. 

Seulement lire n’est plus seulement la mesure du niveau de culture. Par une espèce de bouleversement que nous n’avons pas vu venir, la lecture est devenue également une question anthropologique. Dans un livre qui vient de sortir, Le Désert de nous-mêmes (L’Échappée), le philosophe Éric Sadin met en garde contre le danger des intelligences artificielles génératives, mais alerte surtout sur les mutations profondes qu’elles vont entraîner pour l’humain. 

Pourquoi, en effet, écrire, lire et travailler quand une machine est en mesure de remplir toutes ces tâches ? Le résultat ? Certes une vie facilitée, vision immédiate et très utilitariste, accélérée par cette passion qu’est la paresse, mais surtout une atrophie de nos capacités mentales et morales. On comprend dès lors pourquoi Léon XIV a souligné l’impérieuse nécessité pour l’Église de s’emparer de cette thématique : « Nous sommes tous (…) préoccupés par le sort des enfants et des jeunes, et par les conséquences possibles de l’utilisation de l’IA sur leur développement intellectuel et neurologique. »


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Face au processus de dénaturation

Devant la faillite morale collective à laquelle nous assistons, nous avons oublié que nos actes, même les plus minimes, nous engagent. Nos choix portent leurs conséquences. Hannah Arendt écrivait naguère : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. »

Le constat reste juste. Toutefois Éric Sadin le complète aujourd’hui : « c’est le vide de la pensée qui va déboucher sur une humanité absente à elle-même ». Nous ne sommes pas seulement face à l’évolution trop rapide des techniques. Nous sommes, en fait, confrontés à un processus de dénaturation qui engage la question de la vérité sur l’homme, sur l’univers et, ultimement, sur Dieu. 

Dans ce contexte, trop rapidement brossé, la lecture, les livres et la presse ne sont pas uniquement les témoins d’un monde ancien qu’il faut coûte que coûte conserver par nostalgie d’une époque révolue. Ils forment une réponse, immédiatement et facilement disponible, à la dénaturation en cours, au refus de renoncer à nous-mêmes, et constituent, à leur niveau, des moyens de sortir de la servitude volontaire.

Ne renonçons pas !

Charles Péguy nous avait prévenus :

« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme, et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une mauvaise âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme, même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. »

Ne nous habituons pas à renoncer.

Aujourd’hui, pour vous, et pour d’autres si vous le voulez bien, L’Homme Nouveau – magazine et livres – se veut non seulement un moyen de respiration intellectuelle, morale et spirituelle, mais aussi une arme contre la dénaturation et la servitude volontaire. Le Christ l’a proclamé : « La vérité vous rendra libres. » (Jn, 8, 32) Osons en faire, concrètement, le pari !

 

>> à lire également : « Mourir pour la vérité » de Corentin Dugast : reconstruire notre vie intérieure

 

Philippe Maxence

Philippe Maxence

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