Professeur à l’École d’économie de Paris, Patrick Artus a répondu aux questions de Ouest-France (10 janvier 2022) sur l’état de l’économie française. Il note l’abîme qui existe entre les discours officiels et la réalité.
Est-ce que cette crise a changé votre rapport à l’économie ?
Je crois d’abord que cette crise nous a rendus modestes. Ce qui avait été annoncé au début de la crise sanitaire ne s’est pas du tout réalisé. Rappelez-vous les discussions que nous avons eues en 2020. On nous annonçait un changement complet de modèle économique. On allait relocaliser, devenir beaucoup plus frugal. Nous ne sommes pas devenus plus frugaux et nous délocalisons plus rapidement que ça ne s’est jamais produit. Les échanges internationaux n’ont jamais autant augmenté, en particulier avec la Chine. Et, contrairement à tout ce qu’on entend en France, on n’a pas du tout réindustrialisé. Notre industrie continue à maigrir et notre balance commerciale continue à se dégrader très rapidement.
En 2019, on observait pourtant un timide redémarrage des créations d’emplois dans l’industrie…
Il faut d’abord faire très attention à la propagande. C’est vrai que les enquêtes internationales disent que l’attractivité de la France pour l’industrie s’est améliorée. On cite aussi les chiffres d’implantations industrielles de groupes étrangers. Mais les créations d’emplois sont très modestes. La production industrielle continue de chuter et est plus basse qu’avant la crise du Covid. Sans compter que le déficit de la balance commerciale devrait être de 80 milliards d’euros cette année. Certains signaux micro-économiques sont bons, mais ce n’est pas suffisant. Car les vrais chiffres de l’industrie sont catastrophiques. La tendance mesurée de l’industrie reste à la contraction. Les mesures prises sont bonnes mais on n’en verra les effets que dans plusieurs années.
Qu’est-ce qui vous frappe également au terme de ces deux années ?
Les deux phénomènes majeurs sont l’accélération de la transition écologique qui est un enfant de cette crise et la numérisation de l’économie. Il y a enfin, ce qui est peut-être le plus nouveau, un autre regard sur les politiques économiques. Le déficit public financé par la création monétaire, c’était normalement radicalement interdit et ça devient relativement banal. On n’en a peut-être pas tiré toutes les conséquences. On se permet des choses avec les politiques économiques qui étaient explicitement interdites en Europe. C’est une rupture complète.
C’est la mondialisation qui est la cause de nos faiblesses actuelles ?
Je vais répondre comme un économiste. Le commerce extérieur de la France est un bon indicateur des faiblesses d’un pays. Il était à peu près semblable à celui de l’Allemagne en 2003. Aujourd’hui, l’écart est monstrueux. Cette dégradation ne s’est pas faite par rapport aux pays émergents.