Entretien avec le Père Hervé Tabourin, de la sainte Croix de Riaumont.
| Si beaucoup connaissent Marcel Callo comme étant le premier scout béatifié (1987), nombreux sont les autres scouts qui moururent dans de conditions semblables sous le nazisme ou le communisme et qui sont également aujourd’hui bienheureux…
En effet, Marcel Callo est le premier scout béatifié par Jean-Paul II, CP des Panthères à la 5e Renne et fêté désormais le 19 avril. Il était plus connu comme faisant partie de la JOC que des Scouts de France, mais certains comme Francine Bay ont insisté sur son passé scout. Il faut savoir qu’il considérait la JOC comme étant son service routier, dans la continuité de sa promesse.
Mais il y a en a d’autres. Le second béatifié s’appelle Stéphane Vincent Frelichowski, également par Jean-Paul au cours d’un voyage en Pologne. Ce jour-là en 1999, le pape s’est adressé spécialement aux scouts polonais pour leur donner comme nouveau saint patron. Fêté le 7 août, il est très peu connu en France, et on attend encore un ouvrage biographique en français.
On sait[1] qu’il prononça sa promesse le 26 juin 1929, qu’il fut CP du renard puis chef de troupe à la 2è Chelmza en Poméranie. Il devient ensuite prêtre, toujours très attaché au scoutisme. Il est mort du typhus à Dachau. Combien de Chef de Patrouille des renards savent qu’ils ont un saint patron déjà au Ciel ?
Le bienheureux Jean-François Macha est encore moins connu. Mort martyrisé le 3 décembre 1942, il fut béatifié en 2021. Il fut aumônier scout en 1940 en Pologne où il fonda des troupes scoutes clandestines au sein des rangs gris, dans la résistance polonaise.
Le bienheureux français René Dubroux fut quant à lui martyr du communisme au Laos en 1959. C’était un missionnaire français des MEP, fêté le 19 décembre. On ne sait pas grand-chose de son scoutisme mais les photos de son foulard brun à bord vert témoigne de son passé scout. Il était élève au petit séminaire de Nancy. C’était un baroudeur dans l’âme, un esprit qui aimait la chasse et la pêche, il avait un caractère vif mais était un homme de prière.
Après son ordination, il créa des troupes scoutes à Chantraines dans les Vosges. Il fut brièvement aumônier militaire avant de terminer sa vie comme missionnaire au Laos. Il avait toujours son bréviaire à la main, et disait la messe en forêt. Son procès de béatification était joint à la cause collective des premiers martyrs du Laos béatifiés en 2016.
Le scoutisme a joué un grand rôle pour de nombreux missionnaires, dont certains furent victimes des totalitarismes nazis et communistes, on en connaît d’autres qui moururent aussi martyrs de l’Islam. Tel est le cas du bienheureux Mgr Pierre Claverie, martyrisé avec son chauffeur le 1er mai 1996. Totémisé écureuil attentif, il fut scout de France à la troupe saint Jacques d’Alger, CP investi et même adoubé Écuyer de France ! Devenu Dominicain, il resta sur place après l’indépendance de l’Algérie et devint évêque d’Oran.
Le bienheureux Charles Deckers était un père blanc belge qui fut scout à Anvers et aumônier SdF, martyrisé aussi en Algérie le 27 décembre 1994. Quand au bienheureux Christian de Chergé c’était le prieur des moines de Tibhirine, martyrisé avec ses moines le 21 mai 1996. C’est également un ancien louveteau et scout de France à Paris.
On peut faire remarquer que ces bienheureux ont prononcé la même promesse que nos jeunes, dont ils peuvent être des exemples.
| Le père Sevin, fondateur du scoutisme catholique français, a lui aussi un procès en cours. Où en est-on ?
Oui, nous avons déjà toute une petite patrouille béatifiée, mais leur CP au Ciel… le père Jacques Sevin qui a tant influencé le scoutisme catholique en France comme à l’étranger, n’est encore en 2023 que vénérable ! Son procès est clos puisque ses vertus héroïques ont été reconnues par le Pape.
Mais puisqu’il n’est pas martyr, il faut encore un signe du Ciel : un miracle, pour le reconnaître bienheureux. Une guérison est actuellement examinée à Rome. Le Père Sevin pourra être béatifié rapidement si elle est reconnue comme miraculeuse.
| Existe-t-il d’autres scouts béatifiés ou qui attendent l’aboutissement de leur procès ? Et de quelle manière le scoutisme les a-t-il menés vers la sainteté ?
Un couple de laïc italien a déjà été béatifié : Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi. Lui s’est engagé à la fondation de groupe scout ASCI à Rome, elle écrivait des livres de pédagogie. Ils eurent quatre enfants, tous marqués par le scoutisme, dont l’une, Henriette (foulard blanc à Lourdes) a été reconnue comme vénérable en 2021. Les époux Quattrocchi furent le premier couple béatifié ensemble par Jean-Paul II et c’est la date de leur mariage qui fut retenue pour leur fête : le 25 novembre.
Il faut savoir que les bienheureux ne sont célébrés normalement que dans leur congrégation ou diocèse d’origine. Sans rien ajouter au procès, c’est un deuxième miracle qui permet leur canonisation, avec l’inscription de leur messe dans le calendrier de l’Église universelle. Mais à Riaumont, en tant qu’ordre scout, nous aimons les fêter car ils sont de bons éclaireurs pour tous nos jeunes.
Connue surtout pour son travail social, Madeleine Delbrêl est encore vénérable. « Abeille joyeuse » fut aussi cheftaine de louveteaux à la 38ème Paris. Elle est également l’auteur de d’un commentaire de la loi guide, et de textes très intéressants sur les rapports entre la femme et l’Église, qui feraient beaucoup de bien dans le débat contemporains.
Nous avons d’autres vénérables étrangers : Gilles Bullesi, assez connu chez les scouts italiens même si le lieu où il vécut est aujourd’hui en Croatie. Ce marin fut scout à 16 ans à la troupe St Michel de Pola, tertiaire franciscain, et membre de l’Action catholique. Suite aux décrets fascistes de dissolution des scouts, il écrivit pour demander à ce qu’on garde intact l’esprit scout, même sans uniforme. Il est mort d’une tuberculose, et vénérable depuis 1997.
Un autre vénérable dont le procès est clos mais qui attend encore la reconnaissance d’un miracle, est Étienne Kaszap, CP scout hongrois, séminariste jésuite. Il mourut de maladie à 19 ans, mais était passé au Jamboree de Gödöllő en 1933.
| Le degré de reconnaissance en dessous de vénérable est celui de serviteur de Dieu, comme une petite louvette Europa Scouts de Toulon, qui prononçait sa promesse en 2010…
Oui, Anne-Gabrielle Caron est servante de Dieu : on rassemble actuellement au diocèse de Toulon les témoignages et pièces historiques selon un procès canonique, dont l’héroïcité des vertus sera ensuite soumis à l’examen de théologiens à Rome.
On peut citer d’autres guides et scouts dont les causes sont introduites aux diocèses :
L’abbé Lucien Bunel connu sous son nom de Carme : Jacques de Jésus, eut un passé scout très important : il fut aumônier scout au Havre et créa une meute, une troupe et un clan dans son petit Collège d’Avon. Le film célèbre Aurevoir les enfants les montrent entrain de jouer dans la forêt de Fontainebleau. Francis Parater aux Etats-Unis était un Eagle scout séminariste. Ce sont souvent des clercs mais on peut citer aussi une jeune guide lituanienne de 19 ans qui fut martyre de la pureté et dont l’enquête diocésaine fait allusion à son passé louvette : Elena Spirgevičiūtė.
Et d’autres laïcs martyrisés en 1944-45 comme : Joël d’Auriac, routier scout décapité à Dresdes (il faut relire sa magnifique dernière lettre à ses routiers), avec Jean Bernier, Bernard Perrin, Robert Saumont… parmi les 16 scouts qui font partie de la cause collective des martyrs de l’apostolat en Allemagne.
Voilà où on en est déjà aujourd’hui, en 2023, mais ce martyrologe ne peut que s’étoffer avec notamment l’Afrique et l’Amérique du Sud. Il y a peut-être déjà d’anciens scouts parmi les martyrs qui meurent là-bas. A Riaumont on essaye de tenir cette liste à jour.
| D’autres jeunes qui ont vécu du scoutisme peuvent-ils être donnés en exemple pour les scouts d’aujourd’hui, bien qu’ils n’aient pas de procès en cours ? Je pense à Anne-Lorraine Schmitt par exemple…
Tout à fait, il existe beaucoup de vies héroïques qui mériteraient d’être mises en valeur, même sans procès de béatification. On trouve chez de jeunes âmes un héroïsme de la vertu, également chez des scout morts de maladie ou par accident. De nombreuses petites brochures d’avant-guerre rappellent leur mémoires. Ainsi que ces images In memoriam où apparaissent croix potencée ou prière scoute témoignant d’un scoutisme qui a marqué toute leur vie.
La plupart des scouts connaissent déjà Guy de Larigaudie, mais on peut prendre bien d’autres l’exemple comme d’Henri d’Hellencourt ou d’autres morts jeunes de maladie (Yannick Pierret). Si on retient à juste titre les scouts morts pendant la guerre, de nombreux autres furent aussi héroïques sans passer par ces moments terribles qui ont révélé leur qualité d’âme. C’est l’héroïsme de la sainteté quotidienne. Le devoir du scout commence à la maison.
On peut penser aussi au chant du P. Sevin « Les excuses de l’aspirant », dédié au jeune l’anglais Albert Hatswell qui perdit la vie en arrêtant un cheval devenu fou. C’est le genre de BA extraordinaire dont tous les scouts rêvaient, comme le sauvetage de la noyade, à l’image de Sylvain Menu ou de Frédéric Le Conte, qui moururent en sauvant leur frères scouts.
Dès le début du scoutisme, on s’attacha à proposer des figures comme celles-ci, proches des jeunes. Le scoutisme a désormais tout un siècle d’histoire. Quelque soit les étiquettes d’association, il est grand temps de s’approprier tant de figures héroïques qui sont les nôtres !
| À quelles conditions le scoutisme reste-t-il une voix de sainteté ?
A condition de le vivre ! et non de le regarder comme un album photos passées. Quelque soit l’âge de nos artères, la jeunesse d’âme se vit au présent. Beaucoup de routiers et de guides-aînées engagées retrouvent dans l’idéal de leur jeunesse une règle de vie, il s’y engagent comme un tiers ordre.
Cette promesse d’adolescent ils la vivent entrés dans la vie adulte, encore plus consciemment. La branche aînée est comme le troisième étage d’une fusée : il s’agit de mettre en orbite notre satellite dans la vie adulte. Vivre avec le même feu cette promesse, « s’il plaît à Dieu, toujours ».
[1] cf. Citadelle de l’Espérance, Riaumont toujours, n° 61, sept. 2006.
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