Modestes réflexions sur un entretien

Publié le 07 Oct 2013
Modestes réflexions sur un entretien L'Homme Nouveau

Dans une analyse qui vient d’être publiée en français, le vaticaniste italien, souvent bien inspiré et toujours bien renseigné, Sandro Magister, remarque que le Pape François semble avoir retenu le mode de l’entretien comme nouvelle forme d’encyclique. La première encyclique formelle publiée sous son nom, Lumen Fidei, est, en fait, largement issue d’une première rédaction effectuée par Benoît XVI. Le Pape François ne l’a pas caché. L’aurait-il fait d’ailleurs que le style et les références abondent comme autant de signaux de la marque bénédictine.

Des interrogations

Des deux grandes interviews publiées à ce jour, Sandro Magister remarque que la première, accordée aux jésuites, a été longuement préparée, revue et diffusée. Celle qui fut donnée à La Repubblica, accordée au directeur de ce quotidien de gauche, Eugenio Scalfari, qui se déclare athée, est plus spontanée. Le Pape ne l’a pas relue. Le père Lombardi, porte-parole du Vatican, interrogé à ce sujet, a affirmé que le Saint-Père ne la reniait pas. Selon Sandro Magister, L’Osservatore Romano l’a d’ailleurs publié ainsi que le site officiel du Vatican.

Pourtant, ici ou là, on s’interroge sur la crédibilité à accorder à cet entretien. Le vaticaniste Andrea Tornielli, par exemple, a émis très vite des doutes. John L. Allen jr, sur le site du National Catholic Reporter, rapporte les propos du cardinal Dolan qui a vu l’élection du Pape François. Très clairement, le cardinal Dolan contredit la version rapportée dans l’entretien de La Repubblica à propos de l’élection. Selon le cardinal américain, le cardinal Bergoglio a accepté aussitôt son élection et ne s’est pas retiré pour réfléchir, contrairement à ce que fait dire au Saint-Père, Eugenio Scalfari.

Un détail révélateur

On dira qu’il s’agit d’un détail, mais en l’occurrence, ce détail est peut-être révélateur d’une grande liberté prise par le journaliste. Il est en tous les cas le révélateur de la difficulté de s’exprimer trop facilement par le biais de la presse, comme nous l’avions déjà fait remarquer s’agissant de la première interview accordée par le nouveau Secrétaire d’État. Ce qui est plus important, d’ailleurs, que ce détail historique et factuel sur le moment de l’élection, se trouve dans un autre aspect de l’interview accordée à Scalfari. Même s’il a peu fait l’objet d’interrogations – tous les journalistes n’ayant pas le niveau philosophique de Scalfari – il démontre à lui seul les limites de l’exercice de l’entretien. Scalfari rapporte cet échange sur la question de la conscience :

« Votre Sainteté, vous-même l’aviez écrit dans une lettre que vous m’avez adressée. La conscience est autonome, disiez-vous, et chacun doit obéir à sa conscience. À mon avis, c’est l’une des paroles les plus courageuses qu’un Pape ait prononcée. »

« Et je suis prêt à la répéter. Chacun a sa propre conception du bien et du mal et chacun doit choisir et suivre le bien et combattre le mal selon l’idée qu’il s’en fait. Il suffirait de cela pour vivre dans un monde meilleur. »

L’échange a-t-il bien été rapporté ? Est-il complet ?

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Le Catéchisme de l’Église catholique consacre tout un article, en plusieurs numéros, à la question de la conscience. Au numéro 1780, il est ainsi rappelé :

« La dignité de la personne implique et exige la rectitude de la conscience morale. La conscience morale comprend la perception des principes de la moralité (“syndérèse”), leur application dans les circonstances données par un discernement pratique des raisons et des biens et, en conclusion, le jugement porté sur les actes concrets à poser ou déjà posés. La vérité sur le bien moral, déclarée dans la loi de la raison, est reconnue pratiquement et concrètement par le jugement prudent de la conscience. On appelle prudent l’homme qui choisit conformément à ce jugement. »

À la formation proprement dite de la conscience, le Catéchisme consacre également trois numéros :

1783 : « La conscience doit être informée et le jugement moral éclairé. Une conscience bien formée est droite et véridique. Elle formule ses jugements suivant la raison, conformément au bien véritable voulu par la sagesse du Créateur. L’éducation de la conscience est indispensable à des êtres humains soumis à des influences négatives et tentés par le péché de préférer leur jugement propre et de récuser les enseignements autorisés. »

1784 : « L’éducation de la conscience est une tâche de toute la vie. Dès les premières années, elle éveille l’enfant à la connaissance et à la pratique de la loi intérieure reconnue par la conscience morale. Une éducation prudente enseigne la vertu ; elle préserve ou guérit de la peur, de l’égoïsme et de l’orgueil, des ressentiments de la culpabilité et des mouvements de complaisance, nés de la faiblesse et des fautes humaines. L’éducation de la conscience garantit la liberté et engendre la paix du cœur. »

1785 : « Dans la formation de la conscience la Parole de Dieu est la lumière sur notre route ; il nous faut l’assimiler dans la foi et la prière, et la mettre en pratique. Il nous faut encore examiner notre conscience au regard de la Croix du Seigneur. Nous sommes assistés des dons de l’Esprit Saint, aidés par le témoignage ou les conseils d’autrui et guidés par l’enseignement autorisé de l’Église (cf. DH 14). »

Concernant le choix à opérer par la conscience, le Catéchisme précise encore, au numéro 1786 :

« Mise en présence d’un choix moral, la conscience peut porter soit un jugement droit en accord avec la raison et avec la loi divine, soit au contraire, un jugement erroné qui s’en éloigne. »

Jean Paul II

Dans l’encyclique Fides et Ratio, au numéro 98, le bienheureux Jean-Paul II écrit :

« Des considérations analogues peuvent être faites également par rapport à la théologie morale. Il est urgent de revenir aussi à la philosophie dans le champ d’intelligence de la foi qui concerne l’agir des croyants. Devant les défis contemporains dans les domaines social, économique, politique et scientifique, la conscience éthique de l’homme est désorientée. Dans l’encyclique Veritatis splendor, j’ai fait remarquer que beaucoup de problèmes qui se posent dans le monde actuel découlent d’une “crise au sujet de la vérité” (…). Une fois perdue l’idée d’une vérité universelle quant au bien connaissable par la raison humaine, la conception de la conscience est, elle aussi, inévitablement modifiée : la conscience n’est plus considérée dans sa réalité originelle, c’est-à-dire comme un acte de l’intelligence de la personne, qui a pour rôle d’appliquer la connaissance universelle du bien dans une situation déterminée et d’exprimer ainsi un jugement sur la juste conduite à choisir ici et maintenant ; on a tendance à attribuer à la conscience individuelle le privilège de déterminer les critères du bien et du mal, de manière autonome, et d’agir en conséquence. Cette vision ne fait qu’un avec une éthique individualiste, pour laquelle chacun se trouve confronté à sa vérité, différente de la vérité des autres ».

Des questions

On ne fera évidemment pas insulte au Pape François d’ignorer ces bases fondamentales de philosophie. Sa formation de jésuite l’assure contre ces déviations. Et il est vrai qu’un entretien n’est ni un catéchisme, ni une encyclique.

En revanche, on peut s’interroger sur la liberté prise par Eugenio Scalfari dans la manière dont il a rapporté l’entretien qu’il a eu avec le Pape.

On s’interrogera également sur la pertinence de tels entretiens. Non pas parce qu’il s’agit d’un entretien accordé à un athée, mais parce qu’un certain nombre de fidèles peuvent se sentir déroutés ou ébranlés dans leur foi par des propos rapportés par la presse. Plusieurs nous ont ainsi fait part de leurs interrogations, y compris des prêtres.

Un faux débat

Il y a d’ailleurs un faux débat qui court actuellement et qui entretient indirectement le doute. On s’interroge pour savoir si le Pape François est en rupture ou non avec son ou ses prédécesseurs, ou pour savoir jusqu’à quel point et dans quel domaine il est ou n’est pas en rupture. Franchement, on a l’impression souvent d’être devant les effets de la capillotétratomie. Le style de Benoît XVI n’était pas celui de Jean-Paul II qui n’était pas celui de Paul VI. Etc. La grâce se greffe sur la nature et l’élève ; elle ne fait pas disparaître la personnalité propre de chaque pontife.

Prière et formation

Dieu a placé le Pape François sur le Siège de Pierre. Il est là – c’est son devoir – pour garder intact le dépôt de la foi, conserver l’unité de l’Église et nous confirmer dans la foi, héritée des apôtres et transmise par l’Église au long des siècles. Quant à nous, qui reconnaissons le magistère du Pape, mais non celui des médias, nous devons en cas de questions ou de troubles intérieurs, prier pour le Saint-Père, renforcer notre propre vie théologale, méditer sur le mystère de l’Église et renforcer notre formation doctrinale. Une question, comme celle du rôle de la conscience, trop vite abordée le prouve à sa manière. Après tout, nous sommes – encore – dans l’Année de la foi. C’est encore l’heure de renforcer et notre prière et notre formation.

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