« La loi sur la fin de vie ne fait qu’aggraver le sentiment de culpabilité de certains handicapés. »

Publié le 17 Mai 2024

fin de vie och

La proposition de loi sur la fin de vie ayant été adoptée par les députés jeudi 16 mai, elle sera débattue au Sénat à partir du 26. Afin d’alerter sur les enjeux et conséquences de cette loi, l’Office Chrétien des personnes Handicapées (OCH) a publié lundi 13 mai, un communiqué intitulé « Fin de vie : Et les plus fragiles dans tout ça ? » et signé par une quinzaine d’associations et d’organismes du domaine de la santé engagés pour la vie des plus fragiles. Emmanuel Belluteau, président de l’OCH, nous éclaire sur les raisons de cette tribune et les enjeux de la proposition de loi.

 

| Qui sont les signataires et pourquoi vous êtes-vous associés dans la signature de ce communiqué ? Quels sont les points de rencontre entre vos différents mouvements ?

Le communiqué que nous avons diffusé lundi 13 mai, le jour du début de l’examen du projet de loi en commission à l’Assemblée nationale, est signé par les responsables d’associations, fondations ou structures qui ont en commun de prendre soin des personnes fragiles ou vulnérables. La plupart ont un caractère confessionnel et catholique. Toutes partent de la conviction radicale que toute personne est investie d’une dignité qui n’est liée notamment ni à sa situation personnelle, ni à son statut social, ni à ses capacités.

Dans les textes qui définissent leur mission comme dans leur pratique quotidienne, elles s’appliquent à faire en sorte que chacun soit accueilli comme il est, fraternellement et sans condition, écouté et consolé, encouragé, relevé, accompagné et respecté dans toutes les dimensions de sa personne (physique, psychique, familiale, spirituelle, etc.).

 

| En quoi la légalisation de l’euthanasie favoriserait-elle une grave discrimination ?

La banalisation par la loi de l’acte de donner la mort pose des questions de tous ordres, éthiques et morales, déontologiques, pratiques. L’envisager constitue en soi une rupture ontologique avec les fondements de notre tradition républicaine, notamment la protection due aux plus fragiles et le principe constitutionnel du droit à la vie. Le fait même de ne plus être assuré désormais que son existence est précieuse et fera toujours l’objet des attentions de la solidarité nationale interpelle chaque membre du corps social que nous constituons.

Mais le texte en discussion comporte des risques particuliers pour les personnes rendues vulnérables par la maladie, le handicap, l’abandon, l’âge, le décrochage social ou toute autre circonstance de la vie. Il prévoit, certes, que le droit de recourir au suicide assisté – l’expression est plus juste que celle utilisée par le texte en discussion, « l’aide à mourir » – sera ouvert aux seules personnes atteintes d’une affection incurable et propre à entraîner la mort à court ou moyen terme. Cela exclut donc en principe ceux de nos compatriotes – dont les experts estiment qu’ils sont entre 5 et 10 millions – qui souffrent d’un handicap ou d’une maladie psychique.

Cependant, la majorité des personnes qui s’adressent à nous désormais ne sont pas – et ne veulent pas ! – être reconnues comme handicapées ou souffrant d’une maladie psychique. Elles sont donc au nombre de ceux qui, réputés disposer d’un « discernement plein et entier », condition posée par le projet de loi, seront habilités à demander qu’on les aide à se suicider.  Pourtant, du fait de leur état, la plupart des personnes dont nous parlons rencontrent des difficultés, souvent très lourdes, pour trouver leur place dans la société, apprécier ce qui est bon pour elles et ce qui ne l’est pas, faire des choix raisonnables et mesurés sans un accompagnement adapté.

Elles se caractérisent aussi presque toujours par une forte instabilité « d’humeur », en vertu de laquelle elles alternent les phases de dépression dans lesquelles rien ne leur paraît positif et digne d’intérêt, y compris leur vie, et des moments d’optimisme, de joie et d’équilibre dans lesquels elles n’échangeraient leur existence contre rien au monde. Et puis elles sont, plus que d’autres, facilement portées à croire (ou à imaginer) que leur vie ne vaut pas d’être vécue, et qu’elles sont un poids insupportable pour leurs proches ou pour la société. Alors, si elles demandent à mourir, qui le leur refusera, et sur le fondement de quels critères ?

En laissant entendre que la maladie, la fragilité et la souffrance rendraient indigne la personne qui en souffre et justifieraient qu’elle puisse alors demander qu’on mette fin à sa vie, le projet de loi stigmatise sans le vouloir tous ceux de nos concitoyens qui n’entrent pas dans la norme ; elle ne peut ce faisant qu’aggraver l’angoisse et le sentiment de culpabilité que beaucoup éprouvent déjà souvent.

 

| Quelles sont les conditions d’accueil des personnes en situation de handicap ? Les pouvoirs publics sont-ils à la hauteur ?

Des progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies dans l’appréhension des situations de handicap, notamment physiques et dans certains « secteurs » spécifiques (comme l’autisme).

La situation reste cependant extrêmement difficile pour la presque totalité des personnes concernées et des familles (dont le quotidien peut le plus souvent être résumé par trois mots : incertitude, dévouement et épuisement), en raison du manque de places en établissements spécialisés et de la grave incapacité des pouvoirs publics à prendre la mesure de l’ampleur du problème de la maladie psychique et à le prendre en charge (la majorité des personnes atteintes de troubles psychiques sont désormais dans la rue ou en prison !).

| Avez-vous le sentiment d’avoir été écouté ces derniers mois en matière de législation sur la fin de vie ?

Le projet de loi comporte des critères, qui sont présentés comme induisant de facto que les demandes de suicide assisté ne concernent pas, en principe, les personnes souffrant d’un handicap ou d’une maladie psychique et les préserve d’une décision prise par un tiers pouvant être assimilée à une euthanasie : exigence d’une maladie mortelle, « discernement plein et entier », demande personnelle.

Cependant, pour les raisons évoquées précédemment, ces critères ne constituent aucunement des garanties ou des verrous. De plus, le plus grand risque porté par le projet est celui de « l’étape suivante » ! Une fois le droit au suicide assisté inscrit dans la loi, il ne fait pas de doute, comme le montre l’expérience d’autres pays qui ont ouvert ce droit avant nous, qu’il sera un jour suivi d’un élargissement de son champ et d’un assouplissement des critères fixés. Sur ce point, il ne semble pas que les nombreuses alertes appelant à la prudence aient été pour l’instant entendues.

 

| Comment abordez-vous cette année de débat législatif sur la fin de vie ?

Avec inquiétude et espérance.

Inquiétude que nos élus ne soient sensibles aux discours ambiants visant, sans le dire et même souvent sans s’en rendre compte, à la promotion d’une société individualiste et sans repères, dans laquelle même la vie n’a plus un prix irréfragable. Et que des amendements viennent dès lors alourdir encore les conséquences de ce projet.

Espérance que la sagesse l’emporte néanmoins :

  • d’abord par la prise de conscience que les principes de liberté, de fraternité et de dignité ne peuvent pas être détournés et invoqués pour justifier une loi qui marquerait une rupture avec nos traditions républicaines ;
  • ensuite, que nos édiles reconnaissent que la toute première et impérieuse urgence est de généraliser les soins palliatifs, en limitant vraiment la perspective éventuelle du recours à l’aide à mourir aux seuls cas dans lesquels la souffrance ne peut d’aucune façon être apaisée ;
  • enfin et surtout, que notre responsabilité collective – celle des décideurs politiques mais aussi celle de chacun d’entre nous – est, plutôt que d’aider les personnes à mourir, de les accompagner pour leur offrir une fin de vie heureuse, rendant ainsi notre société plus humaine.

 

>> à lire également : Élections européennes et nationalismes européens

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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