La minuscule affaire de l’investissement de la Basilique Saint-Denis, dimanche 18 mars, par des militants d’extrême gauche, conduit à préciser certaines notions qui ont été avancées, « droit d’asile », « profanation ».
Mais surtout, elle invite à évoquer le rôle des évêques dans la défense de la liberté de l’Église.
Nous ne parlerions pas de cette affaire (80 personnes du collectif « Coordination des sans-papiers » investissant la basilique de Saint-Denis, en soutien aux sans-papiers, évacuées par les forces de l’ordre à la demande du recteur), acte classique d’agitation, si des arguments qui touchent au droit de l’Église n’avaient été avancés :
– Les défenseurs de cette manifestation ont parlé du « droit d’asile » dans les églises (Éric Coquerel, France insoumise) ;
– Et ceux qui, dénonçant l’investissement de ce lieu sacré ont, de leur côté, parlé de « profanation » (Front national).
Il faut raison garder : l’incident montre certes, une fois de plus, comment le catholicisme est instrumentalisé par des groupes dont la provocation est la raison d’être, mais ces notions ne pouvaient être ici invoquées.
La profanation d’un lieu sacré consiste à lui appliquer des usages vulgaires ou coupables. Avant d’être réutilisé pour le culte, il devra être « réconcilié » par une cérémonie expiatoire. Le Code de 1917 prévoyait quatre cas de violation de l’église : homicide ou suicide ; grave délit d’effusion de sang ; usages sordides ou impies ; ensevelissement d’un infidèle ou excommunié déclaré (canon 1172 § 1). Sans annuler ces éléments qui servent toujours de référence, le Code de 1983 évoque seulement « des actions gravement injurieuses qui y sont commises au scandale des fidèles et qui, au jugement de l’Ordinaire du lieu » exigent le rite pénitentiel (canon 1211).
Lors du suicide de Dominique Venner, sur l’autel de Notre-Dame de Paris, en mai 2013, l’archevêque avait prescrit une messe de réconciliation, mais pas lors de l’exhibition des Femen, en février 2013, ce qui peut se discuter car la volonté d’injure au lieu sacré était caractérisée. On ne voit pas en revanche comment l’évêque de Saint-Denis pourrait traiter de profanation le déploiement d’une banderole par quelques excités en mal de publicité. En revanche, on pourrait bien parler de profanation dans bien des cas de manifestations scandaleuses dans des églises, sous forme de « cérémonies » ou de concerts délibérément profanatoires.
Quant au droit d’asile, qu’il est piquant de voir défendre par la France insoumise, c’est un antique privilège relevant des droits supérieurs de l’Église sur ses enfants, en vertu duquel un lieu sacré devient un refuge inviolable pour les chrétiens poursuivis par la justice (esclaves en fuite, débiteurs insolvables, malheureux frappés par des cruelles sentences). Il a reculé considérablement depuis le XVIe siècle, et les cas justement exceptés se sont multipliés (assassins crapuleux, mutilateurs corporels, etc.) Le Code de 1917 avait cantonné ainsi le privilège : « Les églises jouissent du droit d’asile en ce sens que les coupables qui s’y sont réfugiés n’en doivent pas être retirés sans l’assentiment de l’Ordinaire ou, au moins du recteur de l’église, à moins qu’il n’y ait nécessité urgente » (canon 1179). Certains concordats respectaient cette immunité.
Le Code de 1983 n’ose plus en parler, tant il est devenu contraire à la relégation de l’Église par l’État laïque au « droit commun », comme une simple association privée. Cependant, il ne l’abolit pas, les dispositions du Code de 1917 pouvant, ici aussi, servir de référence.
Il est clair que, dans l’affaire de Saint-Denis1, il ne pouvait être invoqué, pour des manifestants non-chrétiens, nullement condamnés, et dont, au reste, un seul a été interpellé pour contrôle d’identité.
En revanche, des évêques et des pasteurs conscients de leur responsabilité politique au sens le plus élevé du terme, pourraient invoquer le droit d’asile pour protéger, au moins symboliquement, des catholiques frappés par d’injustes condamnations, des pharmaciens refusant de vendre des produits contraceptifs, des personnes ayant pacifiquement manifesté devant des cliniques d’avortement, des maires refusant d’approuver des « mariages » contre nature, le curé recevant les consentements d’un mariage – pourquoi pas ? – avant que les époux ne « passent » à la mairie, pour protester contre l’obligation préalable du mariage républicain, etc. Et ce, malgré la jurisprudence laïque du Conseil d’État.
1. Voir à ce sujet les propos du père Jean Jannin, affectataire de la basilique Saint-Denis, dans notre article pulié hier.