Les violentes émeutes du début de l’été ont suffisamment effrayé les politiques pour que certaines notions reviennent dans leur discours de façon surprenante : la « décivilisation » est évoquée, on en appelle à la famille… Éclaircissement sur ce que ces mots signifient vraiment et sur l’incohérence de ceux qui détruisent les choses et abusent de leur nom. À la suite des exactions du mois de juin, le président Macron a déclaré en conseil des ministres : « Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation. » L’examen de ce terme, comme on va le voir, peut révéler bien des surprises. Il faut d’abord mettre de côté le sens particulier donné au mot « décivilisation » par certains sociologues et ethnologues qui voient dans l’occidentalisation des peuples non européens une destruction de leurs formes culturelles et sociales propres. La mondialisation serait alors le vecteur de décivilisation par excellence. Même si ce thème est intéressant, ce n’est pas en ce sens que le mot est employé ici, où il désigne le refus, spécialement par la violence, des comportements civilisés et est parfois synonyme d’ensauvagement. Ce vocable est dû au sociologue allemand Norbert Elias, dans son ouvrage Sur le processus de civilisation (1939), où il décrit l’évolution de l’Occident comme un processus consistant à donner au seul État le droit d’user de la violence et, en revanche, à laisser l’individu exercer un auto-contrôle sur ses passions violentes, ses instincts, ses affects – il montre les rois de France donnant l’exemple aux autres pays d’Europe, en domestiquant dans leur cour la noblesse rebelle. C’est ainsi qu’il voulait expliquer a contrario la montée du nazisme en Allemagne, comme une tendance « à se laisser aller, au relâchement de la conscience morale, à la grossièreté, à la brutalité »… Tendance informelle d’abord, mais encouragée et exigée ensuite formellement par le groupe dirigeant du parti. La décivilisation serait alors un relâchement général de la contrainte civilisationnelle. Cette théorie sociologique apparemment pertinente ne définit cependant le processus de civilisation que comme la mise à l’écart de la violence individuelle : vision négative qui ne définit pas positivement ce qu’est la civilisation. De plus, elle reste dépendante d’une vision pessimiste de la nature humaine, présente chez les penseurs des Lumières, comme chez Hobbes par exemple, pour qui « l’homme est un loup pour l’homme », et où l’État est avant tout un pouvoir de…
Sur nos têtes, le couteau de Damoclès
Le 22 janvier, un homme tuait au couteau deux personnes dont un enfant de deux ans dans un parc d’Aschaffenbourg (Allemagne). Des attaques qui se répètent depuis quelques années, en Allemagne, en France et ailleurs.