Grégorien : Le Seigneur a envoyé le salut à son Peuple

Publié le 11 Mai 2019
Grégorien : Le Seigneur a envoyé le salut à son Peuple L'Homme Nouveau

« Le Seigneur a envoyé le salut à son Peuple » (Psaume 110, 9)

Commentaire spirituel

Difficile là encore de faire plus bref. Cet alléluia ne met en musique que sept mots : l’alléluia lui-même, puis un sujet (Dominus) ; un verbe (misit) ; un complément d’objet direct (redemptionem) ; et enfin un complément d’attribution (in populo suo). On a là synthétisée en ces quelques mots toute l’histoire du Salut : les deux protagonistes de l’alliance (Dieu d’une part, son peuple, c’est-à-dire l’Église, d’autre part) ; l’action divine, magnifiquement décrite par le verbe envoyer qui évoque la mission du Fils, parti du sein de la Trinité pour rejoindre l’humanité en détresse ; et puis ce mot de salut ou de rédemption, c’est-à-dire de rachat, qui caractérise cette œuvre du Christ, et qui sous-entend tout le drame du péché, du mal, de la souffrance, dont le Seigneur est précisément venu nous racheter. L’alléluia qui entoure ce texte comme un petit refrain de louange nous invite à chanter ce simple verset de psaume dans la lumière du temps pascal. Le verbe est au passé simple : c’est chose faite, nous sommes sauvés, la rédemption est opérée, le plan de Dieu s’est déroulé comme prévu, si l’on peut dire.

Le choix de ce psaume n’est pas anodin : il s’agit d’un hymne alphabétique qui célèbre la puissance de Dieu et justement sa bonté envers son peuple. Tout ce déploiement de magnificence dans les actions divines n’est ordonné qu’au salut des âmes. Dieu ne fait pas de spectacle pour l’esbroufe, il ne multiplie pas les miracles pour le plaisir et en mettre plein la vue aux hommes. S’il agit de façon aussi grandiose, c’est vraiment qu’il y a derrière un amour infini, un amour jaloux, brûlant, prêt à tout pour sauver l’objet de son amour. Si le psaume loue la majesté et la splendeur de l’auteur du salut, c’est pour souligner tout ce qu’il a fait par le passé en faveur de son peuple.

L’Église reprend ce texte, l’amplifie en lui donnant sa portée maximale : le mystère pascal du Christ accomplit les Écritures. Mais on peut dire aussi que l’Église intériorise le message du salut. Elle considère que le salut opéré par son Seigneur s’est réalisé dans la discrétion. Les grands miracles de la geste divine de l’Ancien Testament ont bien trouvé leur réplique dans les miracles de la nouvelle alliance, mais ce ne sont pas ces miracles qui nous révèlent le vrai visage de Dieu. Jésus a agi secrètement dans l’intime des cœurs, il est allé jusqu’au fond des consciences, il les a révélées à elles-mêmes. C’est là que le salut est effectif, efficace. La résurrection a bien eu une dimension spectaculaire, on pourrait dire cosmique, dans le tremblement de terre et le relèvement des morts, mais elle a surtout une face cachée. Nous ne savons rien du moment précis où le Seigneur s’est réveillé, a repris possession de son corps, est sorti du tombeau. Il est désormais de l’autre côté des choses, il vit dans un autre monde, et c’est vers ce monde spirituel qu’il va désormais guider son Église et nos âmes. Le psaume mis en musique dans cet alléluia voit donc son sens singulièrement approfondi, et la mélodie va exprimer cette nouvelle dimension. Elle va nous faire entrer, avec beaucoup de simplicité, dans l’épaisseur du mystère de notre Dieu caché. Il n’y transparaîtra aucune impression d’un triomphe humain, mais au contraire la paix, la sérénité, ce qui exprime de façon beaucoup plus significative finalement la puissance divine. C’est la caractéristique de tous ces alléluias du temps pascal qui nous font goûter la victoire de la vie sur la mort dans une atmosphère de paix tranquille qui ne peut pas venir de la terre, mais qui ne peut que descendre du ciel.

Commentaire musical

Redemptionem Partition

La mélodie de cet alléluia est emprunté au 2ème mode. C’est déjà une indication. Le 2ème mode, mode de Ré, est paisible, gracieux, avec une nuance de profond sérieux, loin de toute idée de triomphe et de pompe solennelle. Il est très frappant de constater que cette mélodie, très connue, est typique des alléluias du temps de Noël. C’est l’alléluia de la messe du jour de Noël, on va le retrouver durant l’octave, y compris aux fêtes des saints, saint Étienne, saint Jean l’Évangéliste. Ce sera aussi celui de la messe de l’Épiphanie. Il n’est pas réservé exclusivement au temps de Noël, mais il le caractérise bien. Or voici qu’on le retrouve ici. Ce choix n’est sans doute pas anodin. Le texte de l’alléluia évoque l’Incarnation. Le verbe envoyer nous rappelle que la rédemption opérée par le Fils est le fruit et le but de l’Incarnation. Dieu s’est fait homme pour racheter l’homme, pas pour passer du bon temps avec lui. La question théologique du pourquoi de l’Incarnation est résolue par la Bible qui ne mentionne l’avènement de Dieu dans la chair qu’en référence avec la rémission de nos péchés, avec le salut. Et l’Église a compris ce message, elle qui affirme dans le credo : « Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel ». On peut certes continuer de réfléchir pour chercher à savoir si Dieu se serait quand même incarné s’il n’y avait pas eu le péché originel, mais cette question ne peut pas nous empêcher de constater le fait : c’est pour nous racheter que le Fils a été envoyé. Il y a donc un lien étroit entre Noël et Pâques, et on le retrouve ici avec bonheur dans ce jubilus d’alléluia. On pourra donc le chanter en se souvenant des grâces de l’Incarnation, en pensant à la Sainte Vierge. Cette mélodie légère, pleine de charme, de fluidité, bien structurée autour du Fa qui joue son rôle de dominante et vers lequel la mélodie revient après avoir touché le La à l’aigu aussi bien qu’après être descendue au grave, jusqu’au Do, avant de se poser sur une cadence en Ré, bien ferme et tranquille.

Le verset, lui, va s’échapper de son modèle. Le jubilus nous a fait éprouver un instant le sentiment de paix qui domine le temps de Noël. C’était comme un petit bonjour à l’Incarnation. Désormais, la mélodie va nous faire éprouver une autre dimension de cette paix qui vient de Dieu. On baigne maintenant dans la clarté pascale, on retrouve tout à fait l’atmosphère qui règne dans la liturgie depuis la messe du jour de Pâques : un grand calme, une immense sérénité, qui permet à l’Église et à l’âme de revenir sur ce qui s’est passé, un peu comme les disciples d’Emmaüs dont le cœur était tout brûlant d’amour tandis que le Sauveur leur enseignait le sens des Écritures le concernant. La mélodie de cet alléluia se prête tout à fait à cet exercice de méditation. Elle imprègne le texte, elle le colore, elle lui confère presque une interprétation. L’Église se fait maîtresse de lectio divina à travers ses chants et sa liturgie.

La mélodie commence sur la tonique Ré, sur redemptionem, puis après un appui sur le Do, s’élève et se développe sur l’accent du mot, sans grands intervalles : il y a juste un intervalle de tierce au début, puis, c’est par degrés conjoints qu’on est emmené jusqu’au Sol. Il faudra faire sentir avec délicatesse un crescendo qui s’accompagnera d’un accelerando, à mesure qu’on ira vers la fin du mot, finale qu’on déposera, elle, avec douceur et sans s’arrêter. Ce mot de rédemption demande à être bien uni au mot suivant, c’est-à-dire au verbe misit. C’est le lien entre Rédemption et Incarnation qui est évoqué ici. Le verbe commence sur la même note (Sol) et se déploie discrètement à l’aigu dans une belle alternance entre le Sol et le La, alternance que le Fa touché une fois empêche de devenir monotone. C’est là un bel exemple du goût artistique du compositeur qui trouve le moyen d’exprimer une certaine insistance, une certaine complaisance, mais dans une grande légèreté. Il faudra bien sûr correspondre à cette légèreté en donnant ce mot misit avec beaucoup de légato, sans aucun à coup.

Ensuite, la mélodie s’incurve comme en une profonde révérence sur le mot Dominus, avant de revenir sur le Ré. C’est très beau cette courbe pleine de respect, d’adoration, sur le nom du Seigneur, avec un accent au levé bien souligné, puis un élargissement tranquille de toute la vocalise.

La mélodie redevient toute simple sur in populo, les bénéficiaires que nous sommes, de l’oeuvre rédemptrice. Et cela sert de transition à la reprise de la mélodie de Noël qui reprend ses droits sur le mot suo, pour finir dans la paix gracieuse de ce petit 2ème mode plein de charme et de profondeur.

Vous pouvez écouter cet alleluia en cliquant ici.

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