Peu connu en France, le périodique catholique italien, Instaurare a fêté l’an dernier ses cinquante ans d’existence. Le directeur de la publication, Danilo Castellano a bien voulu évoquer pour nous l’histoire et le sens de l’engagement de cette publication. Danilo Castellano est philosophe, doyen émérite de la Faculté de droit de l’Université d’Udine (Italie) où il a enseigné la philosophie politique, membre correspondant étranger de l’Académie royale espagnole des sciences morales et politiques et membre honoraire de l’Académie royale espagnole de jurisprudence et de législation. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages et collabore en France à la revue Catholica. Il a publié aux éditions de L’Homme Nouveau Martin Luther, le coq de la modernité.
Quel bilan tirez-vous de toutes ces années de travail au sein d’Instaurare ?
Instaurare est un périodique fondé à Udine (Italie) en 1972. Il est publié régulièrement et sans interruption depuis lors. Il a une diffusion nationale en Italie. Il est également envoyé dans plusieurs pays européens et occidentaux (en particulier en Amérique hispanique).
Le titre du périodique (Instaurare omnia in Christo) est aussi son programme. En effet, il poursuit l’établissement de la civilisation chrétienne, c’est-à-dire l’établissement d’un ordre juridique et social fondé sur le droit naturel (classique). On peut donc dire notre périodique fonde son activité et identifie les bases de ses objectifs sur deux piliers : la raison et la Révélation.
Il est né pour lutter : lutter contre l’erreur et lutter pour la vérité. La vérité est la condition de la détection de l’erreur. Par conséquent, Instaurare ne poursuit pas la conservation (qui préserve souvent les erreurs) mais vise à restaurer, également et surtout dans le domaine civil, les valeurs religieuses, fondement et garantie de la stabilité de l’édifice social et condition du bien commun.
Dans les années 1970, la société (occidentale) a été secouée par la « contestation », qui a eu des conséquences majeures tant dans la sphère civile que dans l’Église (catholique). Elle a marqué une évolution de la « Révolution » (entendue au sens théorique), qui s’était progressivement imposée depuis la Réforme protestante et la Révolution française. Elle a cependant atteint un point de non-retour avec la révolution « vitaliste » de 68 qui, encouragée par le libéralisme et plus tard par le marxisme, a conduit au nihilisme intégral. Telle est la situation dramatique d’aujourd’hui.
Le bilan de l’engagement d’Instaurare est d’une part un échec : il n’a pas réussi – mais cela aurait toutefois présomptueux de penser le contraire – à arrêter le processus de dissolution en cours. D’un autre côté, il incarne la démonstration de ce qu’est un travail humble et constructif, ainsi qu’un témoignage de fidélité à un appel adressé à tout homme, à la hauteur de sa condition.
Comment analysez-vous la situation actuelle ?
Il ne fait aucun doute qu’à l’heure actuelle, les sociétés – toutes les sociétés – se sont dissoutes : la famille, la société civile, la communauté politique survivent par fiction, c’est-à-dire « artificiellement ». Ce sont généralement des « noms » sans contenu, ce ne sont pas des « consequentia rerum » comme Justinien l’enseignait à propos des « noms » dans ses « Institutions » (II, 7, 3). Leurs enveloppes sont conservées. À l’intérieur de ces enveloppes se trouve le néant. Admettre déjà, par exemple, le divorce, c’est vider la famille de son contenu, tout comme la reconnaissance du « mariage » homosexuel est une manifestation d’un délire législatif déjà revendiqué par Portalis. La politique comme conflit, c’est donc la théorisation du nihilisme : le pouvoir, en effet, n’est pas la potestas politique ;la politologie de l’américanisme n’est pas la politique comme science et art du bien commun.
Le nihilisme est également entré dans l’Église (catholique), qui manifeste des incertitudes et souffre de contradictions. Elle n’a pas atteint sa dissolution comme d’autres sociétés. Cependant, elle « souffre » de la situation « culturelle » du monde, à laquelle elle se subordonne souvent – également à tort sur le plan pastoral.
Il est nécessaire de prendre conscience des problèmes. C’est un devoir moral de réagir pour amorcer un retournement de la pensée, pour retrouver une pensée authentique. Il faut revenir au réalisme, non pas au réalisme gnostique (identifié et proposé comme actualité) mais au réalisme classique (celui, par exemple, pour lequel Gustave Thibon a travaillé sans relâche).
Face à celle-ci faut-il se décourager et se replier sur soi-même ?
Il ne faut jamais se décourager. L’histoire est pleine de surprises. Elle est le résultat de choix humains. La situation actuelle est la conséquence des options prises par les hommes de culture, puis acceptées sans critique par les masses et érigées en coutumes sociales. Nous devons nous engager dans un changement radical, fondé sur l’ordre naturel des choses. C’est à cet engagement que sont appelés les hommes de bonne volonté, qui doivent agir avec intelligence et prudence, mais sans crainte et en toute liberté.
Comment comptez-vous continuer le travail d’Instaurare dans les années à venir ?
La première chose à faire – c’est une condition préalable à toute autre activité – est un engagement culturel. C’est la condition préalable à toute « réforme » : intellectuelle, morale, sociale. Cela doit se faire avec tous les moyens disponibles. L’engagement culturel est un devoir éthique pour tous, mais surtout pour ceux qui travaillent dans les institutions éducatives (écoles, universités, etc.), dans les activités de diffusion (maisons d’édition, médias, etc.), etc.
Instaurare aussi, dans sa modeste activité et avec le peu de moyens dont il dispose, poursuivra et – si Dieu le veut – intensifiera son engagement. Avant tout, elle poursuivra ses publications et l’organisation de conférences (elle en a déjà organisé plus d’une cinquantaine) ; elle cherchera également à publier des ouvrages attentifs aux questions clés de notre temps et à organiser des cours de formation. Avec l’aide de Dieu, elle cherchera à servir la vérité et à encourager sa recherche. En définitive, Instaurare poursuivra l’engagement et la méthodologie qui l’ont caractérisé jusqu’à présent.
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