Introit Benedicta sit de la fête de la Sainte Trinité

Publié le 30 Mai 2015
Introit Benedicta sit de la fête de la Sainte Trinité L'Homme Nouveau

Bénie soit la Sainte Trinité et son indivise Unité. Rendons-lui grâce car elle nous a témoigné sa miséricorde.
Seigneur, notre Seigneur, que ton nom est admirable par toute la terre !

(Tobie, 12, 6 ; Psaume 8, 1)

La référence biblique de ce chant d’entrée est le livre de Tobie, 12, 6. Le compositeur a adapté ce texte en remplaçant le mot Dieu, par celui de Trinité, notion spécifiquement chrétienne.

L’amour, mystère familial

Lorsque nous lisons l’Ancien Testament, nous découvrons que le mystère de Dieu, tel qu’il s’est révélé à nous dans tout son déploiement, cachait une intensité de vie intime qu’on ne pouvait pas soupçonner sans que Dieu se dise et se dévoile. Il l’a fait par son Fils qui est venu sur la terre pour nous manifester clairement, par toute sa vie, ce que nous ne pouvions que pressentir, à savoir que Dieu est Amour. C’est le sommet de la Révélation. Or, dire que Dieu est Amour, c’est affirmer implicitement que Dieu est Trinité, Dieu est Famille. L’Amour suppose la Trinité des personnes. Lorsqu’on aime quelqu’un, justement on est trois : il y a le sujet qui aime, il y a celui qu’on aime, et il y a cette relation d’amour qui s’établit entre les deux et qui se concrétise dans l’enfant quand il s’agit d’un amour conjugal, dans une activité commune s’il s’agit d’un amour d’amitié. L’amour suppose la pluralité. Jésus est venu pour nous révéler cette pluralité qui existe en Dieu, entre lui et son Père, dans l’Esprit qui est leur mutuel Amour. C’est un mystère pour nous que cette Trinité des personnes qui subsiste dans l’unité indivisible et indivise de la nature divine. C’est le secret du roi dont parle le livre de Tobie. Cette vie infinie qui circule entre le Père et le Fils, qui passe du Père dans le Fils et qui a pour nom l’Esprit Saint, l’Amour, c’est un torrent de feu, un océan de bonheur et d’affection, une étreinte éternelle, qui va jusqu’à la fusion absolue sans confusion précisément parce que cette étreinte, en même temps qu’elle unit les personnes, les constitue dans leur être distinct. Je ne suis pas là pour vous faire un cours de théologie trinitaire, mais j’ai essayé simplement de vous expliquer la première phrase de ce chant d’entrée qui nous plonge dans l’abîme de cette vie trinitaire.

Cette plongée est pour nous une réelle participation. L’Amour nous a été donné, nous sommes par le don de la grâce, assumés par cette vie trinitaire, nous en vivons à notre insu et tout spécialement dans la liturgie, tout spécialement quand nous recevons l’Eucharistie, tout spécialement quand nous chantons un chant comme celui-ci. Nous sommes emportés, sans nous en rendre compte, dans la paix infinie de l’ouragan d’amour qui est notre Dieu un et trine.

Point d’orgue pour l’année liturgique

Alors on peut reconnaître combien cette fête, qui a été instituée au IXe siècle, clôt à merveille ce que l’on appelle le cycle temporal de l’année liturgique, c’est à dire la série des mystères que le Christ nous a révélés en sa personne, depuis sa conception dans le sein de Marie, jusqu’à son Ascension au ciel, dans le sein du Père, et en la personne du Saint Esprit avec le mystère de la Pentecôte. L’œuvre du salut est achevée, nous n’avons plus qu’à nous l’approprier par la réception et la pratique des sacrements. Il nous reste un devoir, celui de l’action de grâce et c’est tout l’objet de cette fête de la Sainte Trinité qui vient couronner cette portion privilégiée de l’année liturgique, comme un magnifique point d’orgue qui se prolongera dans la longue série des dimanches après la Pentecôte. Action de grâce, remerciement, adoration, louange pour tout ce que Dieu a fait pour nous et qui se résume en un mot : sa miséricorde. Dieu est Amour, cela signifie sa vie intime, mais pour nous, envers nous, cet Amour devient précisément miséricorde, tendresse rédemptrice qui se penche sur notre misère et nous ramène à elle. C’est tout le mouvement d’amour qui part de Dieu, en son Fils Jésus, qui descend dans notre vallée de larmes, qui nous touche et nous guérit par sa bonté plus forte que la mort, et nous emmène et nous ramène à la source de notre vie, au creux de cette Trinité qui fera nos délices pour l’éternité. Éternité, le mot est prononcé. Il y a dans cette fête d’origine monastique une saveur d’éternité, une nostalgie de l’éternité et du bonheur familial sans ombre, sans tâche, sans limite, sans crainte de lassitude. Que cette fête et que ce chant nous rassemblent, nous unissent, nous blottissent dans un même amour, anticipation et appel de l’amour éternel pour lequel nous sommes faits.

Commentaire musical

La mélodie de ce chant d’entrée quoique empruntée au 8ème mode, mode solennel et plein, n’a pas un caractère triomphal. Au contraire, elle est sobre, sans grands développements, avec même un côté recueilli, adorant, et c’est peut-être le mot d’adoration qui convient le mieux pour décrire la physionomie spirituelle de cet introït qui, une fois encore, donne le ton de toute la messe et de toute la fête elle-même.

Cette mélodie est empruntée à celle du chant d’entrée du 1er dimanche de Carême, Invocábit me, et la comparaison de ces deux introïts est assez intéressante. C’est ce qu’on appelle une mélodie centon, c’est-à-dire une mélodie composée de plusieurs formules prises à partir d’une mélodie type et qu’on assemble en fonction du texte qu’on doit mettre en musique. Ici l’adaptation est assez réussie, spécialement dans la première phrase où les accents sont bien respectés, mieux que ceux de la deuxième phrase (l’accent de confitébimur est assez mal placé et on risque de le déplacer).

Une première phrase pleine de révérence

Tous les chants de la messe de la Trinité commencent par une formule de bénédiction (benedícta, benedíctus es, benedícimus). Ici l’accent tonique du mot est bien appuyé et demande à la fois fermeté et affection. Sur Sancta Trínitas, la mélodie s’élève d’abord avec élan sur Sancta, puis décrit une belle courbe, descendante puis remontante, sur Trínitas, une sorte de révérence de l’âme qui se traduit dans la courbure musicale. La finale de Trínitas demande une certaine complaisance, on s’y attarde un peu, en laissant la mélodie comme en suspens, dans l’extase de l’adoration.

On peut remarquer l’abondance des porrectus (neumes en forme de petit étendard : porrigere, en latin, signifie étendre) dans cette pièce. Ce sont des neumes fluides qui invitent au legato et à la légèreté. Il ne faut donc pas traîner dans l’interprétation de ce chant d’entrée, mais le donner dans un beau mouvement, tranquille et alerte.

Un beau mouvement anime la seconde phrase

La deuxième phrase est plus expressive. Elle commence avec le verbe confitébimur qu’il faut donner dans un bel élan et en crescendo. Jusqu’ici la mélodie n’avait pas dépassé le Do. Mais là, elle s’évade un peu et monte jusqu’au Ré, puis au Mi. C’est le sommet de la pièce et il affecte le verbe qui exprime l’action de la communauté qui rend à Dieu l’hommage de son adoration, de sa louange, de son action de grâce. Sur ei, avec le porrectus, on retrouve la fluidité, le legato, de la première phrase. Dans les manuscrits on trouve la petite lettre c qui veut dire celeriter, rapidement, ici et à d’autres endroits de la pièce. Avec quia fecit, c’est cette fois l’action divine qui est exprimée, plus discrètement, même si, là encore, la mélodie dépasse le Do (elle le dépasse sur les deux verbes uniquement : confitébimur et fecit). Le mot nobíscum est bien développé, il exprime à l’avance, avant même que le mot soit prononcé, la tendresse de Dieu, sa miséricorde à notre égard. Le Seigneur s’est penché sur nous, en montrant qu’il était avec nous, nobíscum Deus, Emmanuel. La grande miséricorde de Dieu envers nous, c’est l’Incarnation.

Une dernière remarque : c’est sur misericórdiam que la mélodie atteint son point le plus grave, deux fois, sur le Mi. Là encore il s’agit d’une touche expressive, mais si discrète, si exquise, qui montre la correspondance entre la mélodie et le texte. Le propre de la miséricorde c’est précisément de se pencher, de s’incliner, s’abaisser.

Tel est ce beau chant d’entrée qui inaugure le série des dimanches après la Pentecôte par un bel hommage à la Trinité. Avec cette messe on est sur une ligne de crête. On a gravi la montagne du mystère du Salut. On est arrivé au sommet et on contemple la Trinité dans sa lumière. Et on va redescendre dans la plaine des longues semaines ordinaires. Mais Dieu est dans notre cœur, alors chantons toujours ses merveilles avec joie.

Pour écouter cet introit

Benedicta sit

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