La Pause liturgique : Trait « Qui confidunt » (4ème dimanche de Carême)

Publié le 09 Mar 2024
communion

« Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont comme la montagne de Sion : il ne sera jamais ébranlé celui qui habite Jérusalem. Des montagnes l’entourent, ainsi le Seigneur entoure son peuple, dès maintenant et pour toujours. »
Psaume 124, 1-2

 

Commentaire spirituel

La messe du 4ème dimanche de Carême est dominée dans son ensemble par le thème de la cité idéale, l’Église, représentée par la Jérusalem de la terre, ville forte, ville haute, ville de paix. On a déjà vu ce thème dans l’introït, dans le graduel ; il est à nouveau présent dans le trait. Le psaume auquel il est emprunté est un des cantiques des montées que les pèlerins récitaient ou chantaient en se rendant au moins une fois l’an à la cité sainte.

La situation géographique de Jérusalem inspire au psalmiste un chant de confiance inébranlable en Dieu : bâtie sur un promontoire, entourée de vallées profondes, dominée tout autour par des montagnes qui forment au-dessus d’elle comme un demi-cercle de protection, elle apparaît vraiment comme une citadelle imprenable et donc comme une ville qui mérite pleinement son nom : la cité de la paix. Tous les habitants des villes ou des villages rêvent de sécurité, et leur regroupement joue aussi ce rôle de force et de tranquillité par rapport à des ennemis potentiels. L’union fait la force. Certaines cités sont explicitement construites en vue de défendre leurs habitants contre d’éventuels envahisseurs ou assiégeants.

On connaît la fabuleuse histoire de la ville de La Valette dans l’île de Malte, qui résista héroïquement aux musulmans venus dans l’intention d’emporter ce rempart de la chrétienté. On pense aussi aux châteaux cathares comme Montségur, construits sur les hauteurs dans les Pyrénées. Mais les réalités terrestres ne sont pas éternelles : Montségur n’est plus qu’une ruine. Jérusalem, la ville imprenable que chante notre psaume a eu une histoire mouvementée qui continue de nos jours d’être dramatique. Le rêve de la tranquillité absolue ne se réalisera jamais complètement qu’au ciel.

Dans l’Apocalypse, saint Jean nous présente la Jérusalem céleste en des termes qui nous montrent enfin la condition humaine sociale en pleine sécurité : ses portes de pierres précieuses sont ouvertes – belle image de la confiance infinie qui règne dans l’éternité. C’est tout le message de ce trait, qui nous fait passer de l’image de la Jérusalem de la terre à la réalité déjà existante au plan spirituel et qui vise l’âme chrétienne aussi bien que la société dans son ensemble, c’est-à-dire l’Église.

Contrairement au chant d’entrée et au graduel de cette messe, le trait ne parle pas explicitement de la joie mais plutôt de la paix et de la confiance. Ces notions sont très proches et se supposent les unes les autres. Lorsque la confiance est établie dans une âme ou dans une société, la paix peut s’épanouir, et la joie se déploie forcément et librement dans un tel contexte. Or ici, il s’agit de confiance théologale : c’est Dieu qui fonde la sécurité de son peuple. Contre cette force là, rien ni personne ne peut quoi que ce soit. La sécurité de la vie spirituelle ne peut venir que de là, mais cette sécurité là est imperturbable. L’âme et l’Église sont entourées d’une montagne protectrice qui est Dieu lui-même.

« Des montagnes l’entourent, ainsi le Seigneur entoure son peuple, dès maintenant et pour toujours. » La foi nous établit déjà et comme par anticipation dans cette certitude et cette confiance, malgré les aléas de la vie d’ici bas, malgré la souffrance possible et la mort physique certaine. La situation élevée de Jérusalem est pour nous une invitation à placer très haut notre confiance, à dépasser les fausses quiétudes du progrès technique et du matérialisme qui voilent la réalité de l’être humain et de sa destination et l’enferment dans un univers clos sur lui-même et aux horizons bouchés.

Même au XXIème siècle, la mort s’appelle toujours la mort. On a beau la cacher, la refouler et la nier, elle ne se présente pas moins au terme de toute vie et pour notre monde athée, elle est alors la fin de tout. Pour nous chrétiens, au contraire, la mort est acceptée comme faisant partie de la vie, mais elle n’a pas le dernier mot. La résurrection du Christ est le fondement de notre espérance et de notre foi, c’est cet événement historique qui abreuve notre confiance. Telle est la montagne qui nous entoure et nous fait vivre déjà dans les hauteurs de la vie divine.

 

Commentaire musical

Qui confidunt carême

La mélodie du 8ème mode est parfaitement adaptée aux sentiments qui traversent cette pièce très sereine. Elle est presque entièrement constituée de formules mélodiques classiques. Il n’y a donc pas d’originalité dans ce trait dont toute la grâce est de nous communiquer le calme et la confiance que le texte et la mélodie nous inculquent ensemble. La psalmodie joue déjà ce rôle apaisant dans la prière de l’Église. Le fait qu’elle soit ornée dans le trait ajoute encore à son charme reposant.

L’intonation part du Sol et y revient, formant sur Qui confidunt une belle courbe, avec un accent bien mis en valeur et une finale ferme. D’emblée la confiance est annoncée et l’élan joyeux mais sobre de cette intonation contribue très heureusement à établir l’âme dans un sentiment de paix et d’absolue tranquillité.

Le motif de cette confiance ne tarde pas à être énoncé : il s’agit du Seigneur (in Domino), et pour la première fois de la pièce la mélodie s’élève jusqu’au Do, dominante du 8ème mode. Ce Do est atteint sur la syllabe accentuée de Domino. Là encore, il s’agit d’un élan joyeux mais bref, mesuré. C’est le grand art du trait de mettre en valeur le texte sans exagération aucune : on passe, on ne s’arrête pas, et même quand la mélodie semble se complaire sur un mot, comme on va le voir bientôt, elle se déroule avec aisance et dans une grande fermeté, n’interrompant jamais le flux de la récitation du psaume. Cela commande une interprétation très égale, très paisible, permettant à l’âme de respirer tranquillement les vérités chantées.

L’élément de la comparaison vient ensuite avec l’évocation de la montagne de Sion : « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont comme la montagne de Sion ». Le petit mot sicut commence à l’aigu et fait monter une première fois jusqu’au Ré, comme pour nous dire déjà que le sens de l’image est de nous montrer l’élévation spirituelle de celui qui met en Dieu sa confiance, élévation correspondant à celle, géographique, de la cité sainte Jérusalem. Elle est nommée, cette cité bien-aimée, sous le doux vocable de la montagne de Sion, et la mélodie va se déployer avec légèreté et grand amour sur ce nom béni de Dieu et des hommes. Un grand legato enveloppe toute cette vocalise qui forme elle aussi une belle courbe.

Vient ensuite le verbe qui exprime le caractère inébranlable de la confiance en Dieu. Là encore, la mélodie, avec beaucoup de souplesse et de charme, mais aussi de fermeté, monte et descend sans aucun heurt, comme si elle entendait exprimer la confiance qui se maintient parmi les hauts et les bas de l’existence. Le qualificatif in æternum vient d’ailleurs parachever ce sentiment d’absolue certitude. Le Mi qui est la note la plus élevée de toute la pièce est atteint ici une première fois, montrant que cette éternité de la confiance est vécue dans le dépassement des réalités humaines.

Le verset se termine en revenant au qui du début, c’est-à-dire à l’heureux détenteur du bonheur qui est décrit dans toute cette première phrase. Ce bonheur est double : habiter Jérusalem, c’est-à-dire l’Église, et mettre en Dieu sa confiance. Remarquons le très beau développement mélodique sur Jerusalem, avec cette cadence finale typique des traits du 8ème mode qui a le don de fixer dans la paix.

Le verset suivant utilise une formule originale et cette formule est admirablement choisie sur le mot montes. Le double arpège Ré-Sol-Do, puis Ré-Sol-La-Do, avec la descente entre les deux exprime sans doute les hauteurs de Sion et les vallées qui entourent la cité sainte.

Et au-delà de cette évocation, il y a de la pure complaisance pour ces belles et hautes montagnes qui protègent la ville et l’établissent dans la sécurité la plus absolue. On a l’impression que l’auteur est devant le site qu’il met en musique et qu’il se contente de faire passer dans les neumes le paysage qu’il admire. In circuitu ejus nous fait atteindre une nouvelle fois le Mi supérieur. Ejus désigne la ville qui a les faveurs divines. Chaque mot est mis en valeur sans que le flux mélodique s’interrompe à aucun moment.

Mais le vrai sommet de toute la pièce arrive enfin sur Dominus. Le départ à l’aigu, sur et, l’accent au levé de Dominus, puis le développement de la syllabe finale, tout cela doit revêtir une force et un enthousiasme qui tranchent sur le reste de la pièce. Il y a là quelque chose d’éclatant, l’âme laisse un court instant se déployer sa louange et son admiration.

Mais cet élan est passager car dès que le nom du Seigneur est prononcé, on revient à la sobriété sereine du reste de la pièce. Cela produit le plus bel effet, le dernier mot revenant à la confiance toute paisible dont la mélodie ne se démettra plus désormais jusqu’à la fin. Notons la formule mélodique très répétitive de sui avec ses quatre intervalles Sol-La qui doivent être menés en crescendo mais sans exagération et surtout sans aucun à coup.

La pièce se termine sur l’idée de l’éternité si bien rendue par la formule classique de conclusion des traits du 8ème mode, tout en mouvement et en solidité. Voilà une pièce admirable en qui le texte et la mélodie s’unissent de façon merveilleuse. Au terme de ce chant, l’âme est imprégnée de paix, comme l’indique le nom de Jérusalem. Elle se sent entourée par son Seigneur, protégée par lui. Comment ne pas évoquer pour conclure celle qui représente si bien Sion et l’Église, la Vierge Marie, modèle de notre foi, dont l’exemple continue d’inspirer la vie des fidèles dans leur relation vivante avec le Seigneur.

 

Pour écouter :

 

 

>> à lire également : « Quand nous entrons dans le désert intérieur, nous pouvons y rencontrer des bêtes sauvages et des anges. »

Un moine de Triors

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneChroniques

Ni abstrait ni différencié, l’homme enraciné

L'Essentiel de Joël Hautebert | Dans le grand déséquilibre contemporain, deux écueils menacent la juste conception des êtres humains, considérés d’un côté comme des pions interchangeables et de l’autre comme n’ayant en commun que leur « zoologie ». Seule la conception chrétienne tient finalement les deux bouts de la chaîne. Une leçon plus que jamais d’actualité, à l’heure où la Nouvelle Droite pourrait faire figure de remède au mondialisme.

+

homme enraciné
A la uneEgliseLiturgie

Pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle, en vue du redressement de l’Église

Jean-Pierre Maugendre, Directeur général de Renaissance catholique, propose une campagne internationale pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle. Malgré la déchristianisation croissante de la société et la crise de l'Église, il rappelle que celle-ci peut renaître par le biais de la liturgie traditionnelle, dont la sûreté doctrinale et la transcendance ont sanctifié ceux qui nous ont précédés pendant des siècles, et contribuent encore à de nombreuses conversions. À condition de lui redonner une liberté pleine et entière, et non pas seulement une tolérance restrictive. 

+

liturgie traditionnelle
ChroniquesEgliseLiturgie

La Pause liturgique : Sanctus 5, Messe Magnæ Deus potentiæ (Mémoires des Saints)

Ce Sanctus du 4e mode a quelque chose de mystique et de majestueux, dans sa simplicité. Il alterne heureusement les formules neumatiques et les passages syllabiques, les progressions par degrés conjoints et les intervalles de tierce, de quarte ou même de quinte, les élans vers l’aigu et les détentes vers le grave. Ce Sanctus a la particularité de n’être représenté que par une seule source manuscrite, allemande, datée de la toute fin du XIIe siècle.

+

alleluia