Avec le Mercredi des cendres qui nous rappelle que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière, s’ouvre solennellement le Carême. L’allocution de l’audience poursuit l’enseignement de l’homélie de la messe qui avait insisté surtout sur le geste symbolique et significatif des cendres. Cependant, alors que dans son homélie le Pape montrait le Carême comme un temps pour dire non à tout ce qui n’est pas Dieu – indifférence, asphyxie suffocante des ambitions terrestres ou des mirages des trois concupiscences, tentation de banaliser la vie, superficialité etc. –, lors de l’audience, il replace sa réflexion dans le cadre de ses conférences sur l’espérance. Le Carême est de fait un temps privilégié pour l’espérance parce qu’il nous oriente sur Pâques et sur la résurrection, prémisse de notre propre résurrection.
Pour mieux comprendre cette idée fondamentale de notre foi, nous devons toujours replacer le mystère pascal du Christ dans le prolongement de l’expérience du peuple élu lors de l’Exode et de la libération d’Égypte qui témoignent de façon éclatante que Dieu n’abandonne jamais son peuple ; de même ne nous abandonnera-t-il jamais si du moins nous consentons à répondre à son amour. D’ailleurs, pour éduquer son peuple à l’amour, Dieu lui avait donné la Loi, au sortir de l’esclavage d’Égypte. On touche ici du doigt une idée fondamentale sur laquelle, comme le faisait souvent Benoît XVI, le Pape aime à revenir : les commandements ne sont pas d’abord des interdits, mais bien des preuves et aussi des moyens qui garantissent la véracité de notre amour. Pourtant, comme les Juifs de l’Ancien Testament, ne sommes-nous pas souvent tentés de trouver trop ardus les commandements ? Les oignons d’Égypte ont pris un autre nom, mais la réalité de la tentation reste : nous voulons revenir en arrière, ce qui constitue toujours une contre façon de l’amour vrai qui, ne l’oublions pas, fait toujours mal. On retrouve encore ici la nécessité d’adhérer pleinement au scandale de la Croix. Comme le dit le Pape à sa façon toujours piquante : « On ne va pas au paradis en carrosse ». La Rédemption est une œuvre d’amour, mais pour en recevoir les fruits, nous devons prendre le chemin par où est passé Jésus. Nous devons, à la suite de Marie et de tous les saints, être des co-rédempteurs, des humanités de surcroît. C’est ainsi que nous prouverons au Christ notre amour pour lui. Certes, comme le dit saint Benoît, nous devrions suivre le Christ dans l’amour en tout temps, mais rares sont ceux qui ont une telle générosité. La Carême s’avère alors un temps idéal pour participer à cette dynamique de l’Exode et de la libération du péché. Comme le dit une oraison citée par le Pape, le Carême « est le signe sacramentel de notre conversion ». La voie du Carême est par excellence un chemin de conversion : Repentez-vous et croyez à l’Évangile. Ce chemin est un chemin d’espérance : nous cheminons vers Pâques, vers notre salut. Qu’importent fatigues, épreuves, tentations, illusions, voire mirages. Le combat spirituel du Carême passe par le désert où nous rencontrerons Dieu, mais aussi le diable. On n’arrive à la lumière joyeuse de Pâques qu’après avoir traversé les ténèbres des Jours Saints. Le cierge pascal sera le témoin lumineux de notre espérance qui s’appuie sur la victoire certaine du Christ sur le péché, la mort et le monde au sens mauvais du terme. Que la Vierge Marie embrase nos cœurs pour qu’à travers un saint Carême, ils parviennent avec tout le peuple saint qui forme l’Église au terme de ce chemin d’espérance qui débouche sur Pâque !
Le discours du Pape
Aujourd’hui, Mercredi des Cendres, nous entrons dans le temps liturgique du Carême. Et étant donné que nous accomplissons le cycle de catéchèses sur l’espérance chrétienne, je voudrais vous présenter aujourd’hui le Carême comme chemin d’espérance.
En effet, cette perspective est immédiatement évidente si nous pensons que le Carême a été institué dans l’Eglise comme temps de préparation à Pâques, et donc tout le sens de cette période de quarante jours prend sa lumière du mystère pascal vers lequel il est orienté. Nous pouvons imaginer le Seigneur Ressuscité qui nous appelle à sortir de nos ténèbres, et nous nous mettons en chemin vers Lui, qui est la Lumière. Et le Carême est un chemin vers Jésus Ressuscité, c’est un temps de pénitence, et également de mortification, qui n’est pas une fin en soi, mais qui vise à nous faire ressusciter avec le Christ, à renouveler notre identité baptismale, c’est-à-dire à renaître à nouveau «d’en haut», de l’amour de Dieu (cf. Jn 3, 3). Voilà pourquoi le Carême est, de par sa nature, un temps d’espérance.
Pour mieux comprendre ce que cela signifie, nous devons nous référer à l’expérience fondamentale de l’exode des Israélites de l’Egypte, rapportée par la Bible dans le livre qui porte ce nom: Exode. Le point de départ est la condition d’esclavage en Egypte, l’oppression, les travaux forcés. Mais le Seigneur n’a pas oublié son peuple et sa promesse: il appelle Moïse et, d’un bras puissant, fait sortir les Israélites de l’Egypte et les guide à travers le désert vers la Terre de la liberté. Au cours de ce chemin de l’esclavage à la liberté, le Seigneur donne aux Israélites la loi, pour les éduquer à l’aimer Lui, unique Seigneur, et à s’aimer entre eux comme des frères. L’Ecriture montre que l’exode est long et tourmenté: il dure symboliquement 40 ans, c’est-à-dire le temps de vie d’une génération. Une génération qui, face aux épreuves du chemin, est toujours tentée de regretter l’Egypte et de revenir en arrière. Nous aussi connaissons tous la tentation de revenir en arrière, tous. Mais le Seigneur demeure fidèle et ces pauvres gens, guidés par Moïse, arrivent à la Terre promise. Tout ce chemin est accompli dans l’espérance: l’espérance de rejoindre la Terre, et précisément dans ce sens, il s’agit d’un «exode», une sortie de l’esclavage vers la liberté. Et ces 40 jours sont également pour nous tous une sortie de l’esclavage, du péché, vers la liberté, vers la rencontre avec le Christ Ressuscité. Chaque pas, chaque difficulté, chaque épreuve, chaque chute et chaque reprise, tout n’a de sens qu’au sein du dessein de salut de Dieu qui pour son peuple veut la vie et non la mort, la joie et non la douleur.
Parvenir à la vie pleine
La Pâque de Jésus est son exode, par lequel Il nous a ouvert la voie pour parvenir à la vie pleine, éternelle et bienheureuse. Pour ouvrir cette voie, ce passage, Jésus a dû se dépouiller de sa gloire, s’humilier, se faire obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. Nous ouvrir la voie à la vie éternelle lui a coûté tout son sang, et grâce à Lui, nous sommes sauvés de l’esclavage du péché. Mais cela ne veut pas dire qu’il a tout fait et que nous ne devons rien faire, qu’Il est passé à travers la croix et que nous «allons au paradis dans un carrosse». Il n’en est rien. Notre salut est certainement un don de sa part, mais, étant donné qu’il s’agit d’une histoire d’amour, il exige notre «oui» et notre participation à son amour, comme nous le démontre notre Mère Marie et après elle tous les saints.
Le Carême vit de cette dynamique: le Christ nous précède avec son exode, et nous traversons le désert grâce à Lui et derrière Lui. Il est tenté pour nous, et a vaincu le Tentateur pour nous, mais nous aussi devons affronter avec Lui les tentations et les surmonter. Il nous donne l’eau vive de son Esprit, et c’est à nous qu’il revient de puiser à sa source et de boire, dans les sacrements, dans la prière, dans l’adoration; Il est la lumière qui vainc les ténèbres et il nous est demandé d’alimenter la petite flamme qui nous a été confiée le jour de notre baptême.
Dans ce sens, le Carême est «le signe sacramentel de notre conversion» (Missel romain, prière de la collecte, 1er dimanche de Carême); qui accomplit le chemin du Carême est toujours sur le chemin de la conversion. Le Carême est le signe sacramentel de notre chemin de l’esclavage à la liberté, toujours à renouveler. Un chemin certes exigeant, mais un chemin plein d’espérance. Je dirais même plus: l’exode de Carême est le chemin sur lequel l’espérance elle-même se forme. La difficulté de traverser le désert – toutes les épreuves, les tentations, les illusions, les mirages… – tout cela sert à forger une espérance forte, solide, sur le modèle de celle de la Vierge Marie, qui au milieu des ténèbres de la passion et de la mort de son Fils, continua à croire et à espérer dans sa résurrection, dans la victoire de l’amour de Dieu.
Avec le cœur ouvert à cet horizon, entrons aujourd’hui dans le Carême. En nous sentant partie du peuple saint de Dieu, commençons avec joie ce chemin d’espérance.