Dans son éditorial de notre magazine du 9 septembre dernier (n°1790), le père Danziec indiquait cinq sens à cultiver pour répondre aux défis de l’existence et de son état de vie. Avec le sens de l’honneur, voici donc le premier volet d’une série en cinq épisodes pour aller davantage dans les détails.
« Seigneur, pourquoi m’avez-vous créé ? » Cette question intérieure aurait grand avantage à devenir la boussole de tout baptisé. Répondre au sens de notre existence passagère ici-bas, voilà matière en effet à indiquer notre Nord. Pour éviter de perdre du temps – ou de se perdre tout court ! – notre nature frappée et diminuée par le péché originel a besoin d’être orientée par des principes solides, pérennes et qui ont fait leurs preuves.
Alors que l’Évangile du Christ se trouve caricaturé ou ignoré et que la transmission des vérités de l’Église se trouve menacée, chaque chrétien a un rôle inestimable à assumer. Aussi, pour répondre aux défis de l’existence et de son état de vie, je vous proposais de recourir à cinq sens. Non pas ceux qui permettent de ressentir le perceptible et le fugace, mais ceux qui donnent de percevoir l’éternel et l’indistinct.
Le sens de l’honneur pour tenir ses engagements contre la culture du zapping. Le sens des priorités pour aller à l’essentiel contre la culture du divertissement. Le sens de l’Église pour défendre son enseignement constant contre la culture du bouleversement. Le sens de l’humour pour rire de nos ennemis contre la culture de l’oukaze. Et enfin, le sens de l’éternité pour donner à la vie sa mesure contre la culture de la désinvolture.
Pour ce premier volet, je voudrais m’arrêter quelques instants sur le premier des cinq sens évoqués à l’instant : le sens de l’honneur. Vertu noble par excellence, antimoderne par principe. L’honneur n’admet pas de calcul sournois, il ne recherche ni l’efficacité ni l’assentiment de la foule. Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand place sur les lèvres de son héros cette sentence pleine de panache, un panache que l’on pourrait qualifier de “panache à la française” : « On n’abdique pas l’honneur d’être une cible ! »
Nous arrive-t-il d’être fatigués face aux moqueries ? Nous lassons-nous d’être caricaturés ou méprisés ? Le sens de l’honneur est là pour nous alerter : « Le serviteur n’est pas plus grand que le Maître ». Si le disciple du Christ est tourné en dérision ou brocardé, que lui importe. Il le sait, l’a lu dans l’Évangile et médité dans le secret de son cœur : « Comme ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. » (Jean 15, 20)
Après le désastre militaire de la bataille de Pavie en 1525, l’Histoire retient le mot de François Ier adressé à sa mère Louise de Savoie : « Tout est perdu, fors l’honneur ». L’honneur désavoue le respect humain, se moque des pointages de doigt et donne d’avancer le regard clair. Hélas, l’esprit du monde incline le plus souvent à accepter tous les déshonneurs, toutes les compromissions pour gagner un match, une part de marché, une élection, un strapontin dans les médias. Refusons d’être ainsi !
Pour le corrézien Denis Tillinac, le sens de l’honneur consiste à « placer la barre de ses aspirations à une certaine altitude et n’en jamais rabattre ». L’honneur, c’est être intransigeant sur ce que l’on se doit pour mériter le respect de soi, et exiger celui d’autrui. L’honneur plus haut que l’intérêt, que le réflexe logique, que la raison raisonnante, que la loi bête et méchante.
Gonfler son âme aux idéaux chevaleresques n’est pas “un truc de scout” qui a oublié de ranger son uniforme une fois l’âge passé. L’honneur n’est pas une vieille lubie féodale liée à un adoubement élitiste. Vivre l’honneur consiste à le faire vibrer dans les pores de tout son être, à s’adouber en solitaire, dans le secret de son âme. Descendre dans le silence de sa crypte intérieure et renouveler dans le sérieux d’une prière l’ardent désir de servir et, surtout, d’être fidèle.
Notre ordre de chevalerie, que pourrait-il être ? Celui qui tolère les grandes ambitions parce qu’elles ont Dieu pour objet, qui accepte les grandes illusions car rien ne se perd jamais. « Toujours Quichotte, jamais Sancho » résume Tillinac. L’honneur, ce n’est donc pas se rêver quelqu’un, c’est se vouloir fidèle au bréviaire de son état de vie. Ses engagements. Son métier. Son baptême. Ses principes.
C’est, en résumé, chercher à imiter tout à la fois Hélie de Saint-Marc et saint Athanase. Au risque de l’exclusion mondaine, de l’excommunication sociale ! C’est dire avec sainte Thérèse d’Avila : « Tout passe, Dieu seul suffit ! » Dieu seul, oui. Et son honneur aussi.
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