Philippe Roy-Lysencourt, historien bien connu de nos lecteurs, prépare avec un producteur un documentaire sur une religieuse du XVIIe siècle, éducatrice, mystique, fondatrice, qui marqua l’évangélisation de la Nouvelle-France. Un hommage à un personnage clé de cette époque, héroïne de la foi qui fera prochainement l’objet d’une collection dédiée aux éditions du Cerf, au moment où ses œuvres complètes sont rééditées.
Vous préparez actuellement un documentaire afin de présenter un personnage méconnu bien que canonisé. Qui était Marie de l’Incarnation ?
Marie de l’Incarnation était une religieuse ursuline française du XVIIe siècle qui s’est rendue en Nouvelle-France en 1639 afin de fonder à Québec une communauté religieuse qui travaillerait à l’évangélisation et à l’instruction des jeunes Amérindiennes et Françaises de la colonie.
Née Marie Guyart à Tours en 1599, à l’aube de ce que Daniel-Rops a justement appelé le « Grand Siècle des âmes », elle fut d’abord mariée avant d’entrer en religion. Également mère d’un fils qui deviendra l’une des grandes gloires de la Congrégation bénédictine de Saint-Maur, elle a connu tous les états de vie : épouse, mère, veuve, religieuse…
Elle fut encore une femme d’affaires efficace et une fondatrice audacieuse dont la vie peu banale, singulière et pittoresque a un caractère romanesque indéniable. De plus, Marie de l’Incarnation fut l’une des plus grandes mystiques de l’histoire de l’Église – Bossuet, parmi d’autres, l’a qualifiée de « Thérèse de nos jours et du Nouveau Monde » – et elle a laissé des écrits spirituels exceptionnels. Morte à Québec en 1672, elle a été béatifiée en 1980 et canonisée en 2014.
Que doit la Nouvelle-France à cette figure féminine du XVIIe siècle ?
Marie de l’Incarnation est l’une des pionnières et fondatrices de la Nouvelle-France ; elle est d’ailleurs officiellement considérée comme telle puisqu’en 2017 le Gouvernement du Québec l’a désignée comme « personnage historique ».
En Nouvelle-France, où elle a vécu trente-trois ans, Marie de l’Incarnation a fondé un monastère de son ordre. Elle fut éducatrice auprès des Amérindiennes et des petites Françaises, mais aussi confidente et conseillère des missionnaires et des responsables de la colonie. Épistolière extrêmement prolixe, elle se fit également linguiste, laissant notamment plusieurs dictionnaires. Sa correspondance est d’une grande richesse historique : ses lettres sont une source de première importance pour les historiens de la Nouvelle-France. En outre, on peut considérer qu’elle a jeté les bases de l’éducation des jeunes filles au Québec.
Il ne faut toutefois pas limiter l’influence de Marie de l’Incarnation au Canada, car elle est universelle et grandissante : cette année, la biographie que lui a consacrée dom Guy-Marie Oury a été traduite en chinois à Taïwan et le documentaire dont il est question ici sera sous-titré en mandarin ; les Éditions du Cerf viennent de me confier la direction d’une collection qui sera dédiée à Marie de l’Incarnation (« Études guyartiennes ») et Les Belles Lettres ont accepté de rééditer ses œuvres complètes, ce qui lui donnera une consécration littéraire qu’elle mérite amplement.
Votre documentaire se composera d’entretiens avec des experts ainsi que d’une mise en scène fictionnelle. Qu’apportera cette seconde partie ?
La base du documentaire repose sur des entrevues réalisées avec les plus éminents connaisseurs de Marie de l’Incarnation, mais aussi avec des spécialistes d’aspects bien spécifiques, par exemple des populations amérindiennes, de la littérature et de la musique du XVIIe siècle, etc. L’idée est de faire un documentaire le plus exact possible en faisant appel à des experts reconnus. Toutefois, pour rendre le film plus vivant et lui donner un rythme, nous allons ajouter des mises en scène fictionnelles.
Je me permets de préciser que le terme « fiction » est à prendre dans un sens bien précis. Il ne s’agit pas d’imaginer des scènes déconnectées de la réalité, mais d’illustrer la vie de Marie de l’Incarnation et les propos des spécialistes au moyen d’images, de jeux d’acteurs et de musique d’ambiance qui seront inspirés du XVIIe siècle et tâcheront d’être fidèles à l’atmosphère, à l’environnement et aux vêtements de l’époque. Cette partie dite fictionnelle reposera sur des recherches historiques sérieuses.
Cela permettra de mettre en valeur les propos des intervenants, tout en donnant au spectateur la possibilité de s’immerger plus intimement dans la vie de Marie Guyart et dans son siècle. Il y aura bien entendu des choix artistiques – et donc personnels – que nous assumons pleinement, d’autant plus qu’avec Saint Louis Studios – la société de production avec laquelle je travaille – nous sommes profondément attachés au beau et au vrai : il s’agit donc d’être vrai, tout en étant dans le beau.
Quels sont vos objectifs, culturels et techniques, en tournant cette « docufiction » ?
Le premier objectif du film est de faire découvrir Marie de l’Incarnation au grand public et de la faire appréhender plus profondément à ceux qui la connaissent déjà un peu. Il s’agit également de participer à la diffusion de l’histoire et de la culture françaises, tant en France qu’à l’étranger, ainsi que de promouvoir le patrimoine immatériel, matériel, intellectuel et spirituel de notre pays. C’est la raison pour laquelle nous sommes soucieux de tourner dans de beaux lieux, de façon à mettre en valeur l’architecture française des siècles passés.
Au niveau technique, l’objectif est de mobiliser des gens compétents, afin de réaliser un film de qualité que nous pourrons diffuser à la télévision (nous avons déjà un accord de principe avec KTO) et dans les cinémas. Ceci m’amène à préciser qu’entre la logistique, la régie, le son, les costumes, les décors, l’habillage, le maquillage et la coiffure, sans oublier les comédiens, le film va mobiliser une bonne trentaine de personnes. Selon le budget que nous aurons, c’est entre 20 et 50 scènes que nous allons tourner, avec tout ce que cela suppose en ressources humaines, matérielles et donc financières.
Si nous pensons faire appel à des comédiens et à des figurants bénévoles, les techniciens exercent leur métier pour gagner leur pain et il faut les payer, sans compter les frais de nourriture, de transport et de logement pour tout le monde. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un financement participatif auquel ceux qui le souhaitent peuvent contribuer en se rendant sur le site de Saint Louis Studios où se trouve un lien vers le fonds de dotation CredoFunding.
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