« Un des grands maux de notre temps, écrivait déjà en 1956 l’historien Pierre Gaxotte, est que la politique se soit en tant de lieux, dégradée et avilie. Ici, elle n’est qu’une manifestation apocalyptique de force et de mensonge imposé, ailleurs une clameur de promesses inconsistantes et de revendications sans frein, une discussion systématique et interminable de choses qui ne peuvent être discutées, un déchaînement de passions, une agitation stérile qui fait horreur à l’homme de science et au créateur ».
Dissolution de la politique
Aujourd’hui, il apparaît que la politique, qui a normalement pour objet le bien commun, n’est pas seulement « dégradée et avilie », mais qu’elle se soit entièrement dissoute, disparue corps et biens dans un univers d’insignifiance, de règlements techniques et d’arrêtés internationaux. Il ne semble rien en rester, sinon une sorte d’écume qui tente de lui ressembler et qui, parfois, comme pour accroître la confusion, en affiche une partie du visage et des réflexes.
La situation dans laquelle se trouve la France à quelques semaines des élections présidentielles illustre parfaitement ce constat. Loin de nous conduire à une réelle réflexion sur la réforme nécessaire au pays, elle nous oblige constamment à assister, comme pour une série télévisée, aux épisodes d’un feuilleton politico-judiciaire, avec son lot de rebondissements et de retournements de situation nécessaires au mouvement des passions tout en rendant l’intelligence incapable de discerner le vrai du faux.
Dans le même temps, nous sommes sommés de nous enthousiasmer pour la montée en puissance d’un ancien ministre qui, après avoir fait l’ENA, débuté sa carrière comme inspecteur des finances avant de se reconvertir en banquier d’affaires, prétend incarner le soulèvement anti-système. Ceux qui ont dénoncé, non sans raison souvent, l’installation dans la politique de la « télé-réalité » avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, n’ont pas pris garde que celle-ci campait déjà dans l’univers mental des Français.
L’impossible renouveau ?
Pourquoi un tel spectacle ? Pourquoi une telle situation, à laquelle participent d’ailleurs plus ou moins tous les prétendants à la Présidence de la République ? Il n’est pas aisé de répondre de manière simple à de telles questions. Il faudrait à la fois prendre en compte la crise proprement politique et économique dans laquelle nous sommes plongés, mais aussi remonter en arrière pour en discerner les origines historiques et les fondements idéologiques.
Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui dépasse largement le cadre de mon propos. On ne peut que souligner, ici, qu’en ayant nié Dieu, la vérité, la morale au nom du matérialisme, du scepticisme et d’un épicurisme, non plus philosophique, mais entièrement pratique, on a fini par laisser place au vide. Or, il est impossible de bâtir sur une pure négation. Celle-ci n’a l’aspect de l’action que dans son mouvement de destruction des réalités qui lui préexistent. Mais, après ?
Ce dont la France a besoin serait de repartir d’une politique de civilisation, renouer le dialogue avec la sagesse pérenne, se ressaisir de son génie historique. Il lui faudrait à nouveau étreindre les vérités éternelles sur l’homme et la société, se sortir de l’illusion de l’autonomie absolue, de l’individualisme forcené, de la dissolution des liens sociaux. Mais, aujourd’hui, aucun d’entre nous n’est en état d’entendre un discours politique qui irait dans ce sens. Les uns croulent sous les impôts, les autres cherchent désespérément du travail. Les parents sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants et les patrons pour celui de leur entreprise. Devant les offensives qui se multiplient contre la vie et contre les libertés, comment ne pas donner la priorité à l’urgence, aux solutions immédiates, fussent-elles insatisfaisantes en partie ? Comment ne pas crier vouloir reprendre son souffle avant d’entreprendre éventuellement une réelle réforme en profondeur ?
Le désespoir surmonté
Depuis des décennies maintenant, nous cherchons tous à reprendre ce souffle et à espérer que la France le retrouve avec nous. Certes, la politique repose sur la vertu de prudence, sur ce discernement pratique au regard des circonstances par rapport au but à atteindre. Mais la prudence n’est pas la pusillanimité. Il ne faudrait pas que cette dernière nous entretienne en fait dans un état permanent de noyé, toujours sauvé in extremis, sur un certain nombre d’aspects concrets (des impôts à l’école en passant par la liberté d’entreprendre) qui empêchent de poser les fondements d’une véritable politique de civilisation. Les dernières affaires qui ont touché la vie politique française, les derniers épisodes de la montée en puissance de certains candidats ou le flot incessant de mensonges qui se déversent constamment depuis ces bouches d’égout que sont, hélas, certains journaux, ne sont réellement importants que dans le cadre d’un système politico-médiatique qui pourrait être en train de sombrer.
Celui-ci ne doit pas entraîner dans son sillage celui de notre espérance. Pour certains, c’est la tentation du moment ! Comme toute tentation, celle-ci doit être surmontée, en s’appuyant à la fois sur la grâce et sur le travail de l’intelligence, capable de discerner l’exacte réalité. Nous sommes les héritiers mais aussi les agents d’une civilisation bimillénaire que nous devons continuer à défendre, à transmettre, à incarner, à féconder. C’est un labeur qui exige des sacrifices, mais pas celui de descendre l’étendard de notre foi en Dieu et en notre pays pour les remiser dans une vitrine aux souvenirs. C’est certainement au bout de notre désespoir surmonté que jaillira l’aurore que nous attendons tous.