En mars dernier, le livre de l’historien espagnol Pío Moa, Les Mythes de la Guerre d’Espagne paraissait aux éditions de l’Artilleur, à l’instigation de l’historien Arnaud Imatz. À la suite d’un entretien accordé par Pío Moa au Figaro Histoire, une polémique incroyable se déclenchait en France. Il nous a paru intéressant de faire le point avec Arnaud Imatz sur cette affaire, en découvrant ce qui l’a poussé à faire publier ce livre. Il nous éclaire également sur Pío Moa et sur les raisons qui ont conduit à une telle polémique en France, révélatrice des mœurs contemporaines et de l’existence d’une sorte de Mur de Berlin idéologique.
Pourquoi avoir publié en langue française Les Mythes de la Guerre d’Espagne de Pío Moa ?
J’ai été longtemps une victime collatérale du lynchage médiatique subi par Pío Moa en Espagne. J’ai mis des années à me décider à lire ses travaux et en particulier Los mitos de la guerra civil. J’étais sans doute intoxiqué par les insultes et les indignations surjouées de ses censeurs. J’avais consacré beaucoup de temps au sujet et, bêtement, je croyais judicieux d’ignorer, par prudence et circonspection, un bestseller vendu à plus de 300 000 exemplaires.
De ma lecture, je suis ressorti étonné et impressionné. J’ai découvert un auteur honnête, intègre et désintéressé, alors que ses contempteurs ne sont, pour la plupart, que des apologistes plus ou moins déclarés du Front populaire espagnol et souvent même de l’action de Staline pendant la guerre civile.
Je me suis mobilisé en faveur de ce livre lorsque j’ai pris conscience de la redoutable puissance de ce que mon ami le regretté Pierre Chaunu appelait « le lobby des hispanistes français ». En 2006, le livre Les mythes de la guerre d’Espagne devait être publié par les Éditions Tallandier ; l’historien Pierre Rigoulot, spécialiste des mouvements et régimes communistes, collaborateur du Livre noir du communisme, avait été chargé de la traduction et un ISBN avait même été assigné.
Or, bizarrement, après avoir repoussé à plusieurs reprises la date de publication, l’éditeur s’est défilé, sans explication, préférant publier les actes d’un colloque d’historiens tous favorables au Front populaire ; un ouvrage collectif dirigé par le spécialiste du PCF, ancien rédacteur en chef de la revue marxiste, Les Cahiers d’histoire, Roger Bourderon, précédé du discours d’ouverture d’Anne Hidalgo.
Le plus gênant dans cette affaire, c’est que les détracteurs de Pío Moa reprennent ad nauseam l’essentiel de la propagande du Front populaire voire celle du Komintern : l’agression d’une démocratie modérée et pacifique par la droite réactionnaire (la banque, l’Église et l’armée), l’escamotage de la bolchévisation et du révolutionnarisme du parti socialiste espagnol dès 1933 (dont le coup d’État socialiste d’octobre 1934), l’occultation de la fraude électorale de gauche au second tour des élections de 1936, la négation du sectarisme et de la violence du Front populaire espagnol infiniment plus révolutionnaire que le Front populaire français (il y eut plus de 400 morts du 16 février au 18 juillet 1936), la sous-estimation de l’hégémonie du PCE pendant la guerre, l’équivalence franquisme-fascisme-nazisme, l’omission volontaire de la terrible persécution religieuse (près de 7000 membres du clergé torturés et assassinés), la sous-évaluation du nombre des Juifs sauvés par l’Espagne de Franco (près de 60 000), etc., sans oublier bien sûr, l’inévitable confusion et amalgame entre, d’une part, les origines et le développement de la guerre civile et, d’autre part, le régime franquiste. Autant de mauvaise foi, d’invectives et d’attaques ad personam est lassant.
Rompre le silence autour du livre de Pío Moa n’a été possible que grâce au courage moral et intellectuel des Éditions L’Artilleur. Et Dieu merci, au grand dam des maîtres censeurs hispanistes, la version française est désormais un succès éditorial mérité.
Qui est l’auteur exactement et quel est son parcours ?
Pío Moa a d’abord été un activiste antifranquiste, membre fondateur du GRAPO (Groupe de Résistance Antifasciste Premier Octobre), bras armé du PCE(r) (Parti Communiste Espagnol reconstitué). Il a renoncé à l’action révolutionnaire à la fin des années 1970, et s’est retiré définitivement de toute activité politique. Il se déclare fermement attaché à la démocratie et au libéralisme depuis plus de quarante ans et a toujours manifesté son respect et sa défense de la Constitution de 1978.
Il ne croit pas que la guerre civile s’explique par une conspiration communiste, et encore moins que l’Allemagne nazi ou l’Italie fasciste constituaient un futur désirable pour l’Espagne. Au contraire, il affirme que la République espagnole aurait survécu si elle avait vraiment été démocratique ce qui hélas ! n’a pas été le cas.
Qu’est-ce qui a poussé cet ancien activiste marxiste-léniniste à revisiter la Guerre d’Espagne, au risque de remuer bien des souvenirs enfouis et de réveiller certaines douleurs ?
L’honnêteté, la probité intellectuelle ! C’est en qualité de résistant antifranquiste, de marxiste insoupçonnable, qu’il a eu accès aux Archives de la Fondation socialiste Pablo Iglesias (partiellement ouvertes au public en 1977).
Après avoir dépouillé et étudié minutieusement ces archives, Pío Moa a changé d’idées. Il a découvert l’écrasante responsabilité du parti socialiste (PSOE) et de la gauche en général dans le putsch socialiste de 1934, et par voie de conséquence dans les origines de la guerre civile de 1936. Il aurait pu se taire, mais courageux, intègre et indomptable, il ne l’a pas fait.
L’auteur met clairement en cause la responsabilité de la gauche espagnole dans le déclenchement de la Guerre d’Espagne, renversant complément la logique retenue qui voulait que cette guerre civile ait été déclenchée à la suite d’une tentative de coup d’Etat fasciste …
On peut résumer grossièrement la thèse de Pío Moa en deux points :
Premièrement, la guerre civile a opposé deux camps, d’une part, les nationaux (« nacionales » et non pas « nacionalistas »), qui défendaient l’unité de la nation contre le séparatisme, la civilisation chrétienne, la propriété privée et la liberté personnelle, au risque de sacrifier ou de restreindre les libertés politiques, et, d’autre part, le camp du Front populaire, qui cherchait à détruire l’unité nationale, à remplacer la culture chrétienne par la culture socialiste, soviéto-marxiste ou anarcho-communiste, à supprimer la propriété privée, la liberté personnelle et les libertés politiques.
Je vous rappelle que le camp national était une alliance de circonstance entre républicains-libéraux, républicains conservateurs, monarchistes-libéraux, carlistes-traditionalistes, nationalistes et phalangistes, alors que le camp du Front populaire regroupait des socialistes-bolchevisés, des communistes, des trotskistes, des anarchistes, des républicains-libéraux de gauche, des chrétiens « progressistes » et des nationalistes-séparatistes.
Deuxièmement, le Front populaire s’est présenté comme le défenseur de la République, alors que ses principaux partis et leaders ont violé la légalité en 1934, planifiant la guerre civile dans toute l’Espagne. Ils ont ensuite achevé de la détruire lors des élections frauduleuses de février 1936 écrasant la liberté dès leur prise du pouvoir. C’est donc le mouvement révolutionnaire et l’effondrement de l’État républicain qui ont entrainé le soulèvement de juillet 1936 et non pas l’inverse.
La fiction d’une république démocratique, revendiquée aujourd’hui par les leaders du PSOE et de l’extrême gauche et diffusée massivement dans les médias et l’enseignement est la principale raison pour laquelle la guerre civile ne peut être assimilée et dépassée par la société espagnole. La thèse de Pío Moa est globalement solide et très argumentée même si certains détails de son livre Les mythes peuvent et doivent faire l’objet de débats.
L’entretien accordé par l’auteur l’été dernier au Figaro Histoire a déclenché de virulentes réactions, accusant la publication de prêter ses colonnes à un auteur qualifié de « révisionniste ».
Oui, après cet entretien et la mise en ligne d’une vidéo visionnée par plus d’1.300 000 personnes, plus de cent « universitaires » français ont manifesté leur indignation dans des médias de gauche et d’extrême gauche, dénonçant rien moins qu’une « entreprise de falsification », voire une « apologie de crimes contre l’humanité ».
Des pressions ont été exercées sur la direction du Figaro, un fonctionnaire de l’ambassade d’Espagne a téléphoné demandant des explications, des membres du syndicat interne du Figaro ont déploré que l’on n’ait pas donné la parole à Paul Preston, un historien dont le parti pris et le sectarisme en faveur du Front populaire espagnol sont notoires. Pour se couvrir et ne pas entrer davantage dans la controverse, Le Figaro a finalement publié un article d’Emilio Silva, président de l’Association pour la récupération de la mémoire historique, un proche du gouvernement socialiste espagnol.
Cette polémique est révélatrice du degré d’intoxication d’une bonne partie de la grande presse française. La réaction des signataires du manifeste a été d’autant plus furibonde que l’entretien du Figaro Histoire a été publié au moment même où la coalition gouvernementale socialo-marxiste espagnole s’apprêtait à adopter la Loi de mémoire démocratique, loi d’essence totalitaire qui porte gravement atteinte à la liberté d’expression en prétendant censurer et pénaliser les opinions trop éloignées de la doxa officielle.
On a donc eu ainsi l’image d’un quotidien libéral-conservateur qui s’est vu sommé de faire l’apologie des seules thèses favorables au Front populaire. Un comble ! On aimerait savoir ce qu’en auraient pensé les grandes figures du libéralisme espagnol Ortega y Gasset, Marañon, Perez de Ayala ou Unamuno, qui toutes avaient choisi le camp national.
Récemment, sur le site de Causeur, un autre historien spécialiste de la Guerre d’Espagne, Stanley Payne, est venu apporter son renfort à Pío Moa. À l’aide de quels arguments principalement ?
Il ne faut pas croire que Pío Moa est un isolé, un excentrique ou un exalté. Je pourrais vous citer une vingtaine de noms d’historiens prestigieux qui ont rendu hommage à ses travaux. C’est notamment le cas de Hugh Thomas, José Manuel Cuenca Toribio, Carlos Seco Serrano ou Ricardo de la Cierva.
Ce dernier, De la Cierva, auteur de bestsellers, qui avait été un ministre de la culture de Juan Carlos, était déjà en son temps la bête noire des gauches. Il avait été conduit à créer sa propre maison d’édition pour contourner la censure que lui imposait l’éditeur Planeta. Stanley Payne, l’un des plus prestigieux spécialistes mondiaux du sujet, est un autre exemple frappant.
Je vous rappelle que S. Payne a subi en France une omerta de plus de quarante ans, et que j’ai eu la satisfaction de la rompre, en 2010, en publiant et préfaçant son livre La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle (Le Cerf, 2010). Que nous dit-il de Pío Moa et de son œuvre dans le remarquable article du blog Causeur auquel vous faites allusion : ce « livre même imparfait, était une contribution majeure au débat sur la guerre civile ». « Il est probablement exact de dire qu’il [P. Moa] a joué un rôle plus important dans la vie culturelle et intellectuelle de son pays que n’importe quel autre universitaire indépendant d’Europe ». Pour les arguments de S. Payne, je vous renvoie à cet article majeur qui est ouvert aux internautes.
Vous êtes vous-même un spécialiste de l’Espagne, de son histoire mouvementée, de sa culture et de sa vie politique. Pourquoi est-il si difficile aujourd’hui de parler de la Guerre d’Espagne, si longtemps après les faits, notamment en France ?
Parce qu’il s’agit du dernier grand mythe politique socialo-marxiste qui n’a pas encore été totalement détruit et qu’il est redevenu le mythe fondateur de l’Espagne de Zapatero et de Sanchez. « L’impudent » qui ose le remettre en cause se voit ipso facto qualifié de révisionniste, de franquiste, de fasciste, de raciste et d’antisémite et donc traité comme un paria. Ces historiens-militants ne débattent pas, ils déblatèrent.
Après le succès des Mythes de la Guerre d’Espagne, y aura-t-il prochainement un nouveau livre de Pío Moa en langue française ?
L’œuvre de Pío Moa est considérable : près d’une quarantaine de livres pour ne pas parler des articles. Spécialiste de l’Espagne contemporaine, il est aussi l’auteur d’excellents ouvrages de synthèse sur d’autres époques tels La Reconquista y España ou Hegemonia española (1475-1640) y comienzo de la era Europea (1492-1945). Pour répondre à ses détracteurs « officiels », notamment ceux des milieux académiques, il a publié récemment une critique sévère : Galeria de charlatanes. Le problème, c’est que les éditeurs français courageux ne sont pas légions.