Notre quinzaine : « Mon vieux, je suis un homme nouveau »…

Publié le 29 Mai 2024
Chartres pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté

©Notre-Dame de Chrétienté

 

Cette année encore, le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté qui s’est déroulé à la Pentecôte a rencontré un véritable succès avec plus de 18 000 pèlerins inscrits. Des jeunes, beaucoup de jeunes, mais aussi des familles réunissant les parents et les enfants, voire parfois les grands-parents. Des Français de toutes nos provinces mais aussi des « étrangers » venus d’Europe et d’autres continents. On hésite d’ailleurs à employer ce terme d’« étranger » si peu approprié lorsqu’on professe le même credo. 

Quoi qu’il en soit, nous avons assisté, pendant trois jours, à une chrétienté en marche, mettant ses pas dans ceux de Charles Péguy, venu avant 1914 solliciter le secours de Notre-Dame pour l’un de ses fils malade. À son ami Joseph Lotte, Péguy avait déclaré : « Mon vieux, je suis un homme nouveau. J’ai tant souffert et tant prié, tu ne peux pas savoir. (…) J’ai fait un pèlerinage à Chartres, 144 kilomètres en trois jours. Ah, les croisades c’était facile ! Il est évident que nous aurions été les premiers à partir pour Jérusalem et que nous serions morts sur les routes. » 

 

La fécondité évangélique 

Évoquer Péguy en parlant de Chartres est devenu un passage obligé qui se transforme souvent en facilité lorsqu’on est en mal d’inspiration. Un nom, une citation et tout semble dit. Pourtant, il faut dépasser cette commodité. Au XXe siècle, Péguy représente non seulement la foi retrouvée, l’attachement à la France, l’exaltation de la geste de Jeanne d’Arc et le pèlerinage vers Chartres mais aussi (surtout ?) la réalisation de la parole évangélique : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits » (Jn, 12, 24).

La solitude de Péguy n’a pas été une fiction et, à la fin de sa vie, le célèbre écrivain survivait comme abandonné de tous. À vue humaine, sa carrière n’était plus rien et son œuvre, difficile et exigeante, prenant souvent à contre-pied la majorité de ses lecteurs qui allaient diminuant, était vouée à l’oubli. La balle allemande qui l’a frappé au front le 5 septembre 1914 a changé de manière inattendue le cours des choses. Le grain est tombé, et il est mort : la récolte a été abondante. Les 18 000 pèlerins de Notre-Dame de Chrétienté n’en sont pas les seuls fruits, seulement les plus récents. 

 

Leçon d’espérance 

Dans ces temps difficiles, il faut en tirer une leçon. Dans un océan d’athéisme et d’indifférence, d’oubli de la loi naturelle et de règne de l’horizontalité, 18 000 pèlerins ne représentent peut-être pas grand-chose. Un grain, seulement un grain, à condition, bien sûr, de mourir afin de porter du fruit. 

Mais mourir à quoi ? Mourir à l’esprit du monde, à cette mondanité ravageuse qui nous menace tous, y compris parmi ceux qui ont marché vers Chartres. La presse a souligné l’attachement de ce pèlerinage à « la messe en latin », à l’ancienne messe, à la forme extraordinaire ou encore au rite de saint Pie V, autant de termes pour tenter de cerner une réalité liturgique. 

Certains, ne pouvant plus nier la fécondité de ce pèlerinage, n’ont eu de cesse de le mettre en parallèle avec le rassemblement du Frat à Jambville (11 000 participants) ou de souligner que les pèlerins de Chartres n’étaient pas tous des habitués de la liturgie romaine traditionnelle. La belle affaire ! Autant d’affirmations qui ressemblent, à vrai dire, aux dernières cartouches avant la reddition dans un Camerone qui n’aura rien d’héroïque. 

 

La foi au risque de Quas Primas

Alors que nous nous préparons l’an prochain à célébrer le centenaire de Quas Primas (11 décembre 1925), l’encyclique de Pie XI sur la royauté sociale du Christ, il n’est peut-être pas inutile de nous souvenir que ce pèlerinage de la Pentecôte n’est pas simplement le signe d’un attachement à une forme liturgique, aussi vénérable et ancienne soit-elle, mais qu’il postule aussi la nécessité d’une chrétienté et d’une reconnaissance effective de la royauté sociale du Christ. 

Limiter celle-ci à la reconnaissance des points non négociables en politique, à la création d’écoles catholiques ou à l’épanouissement de familles catholiques constituerait une tragique réduction et un terrible manque de foi. Il ne peut s’agir de vivre simplement au chaud dans des espaces communautaires que nous aurions réussi à protéger comme si le reste de la société ne nous concernait pas. Le salut du Christ est pour tous. 

Toute irréalisable qu’elle semble à notre foi attiédie, la reconnaissance sociale et politique du Sacré-Cœur de Jésus n’en reste pas moins l’objectif auquel nous devons tendre, à temps et à contre-temps. Là se trouve aussi la grande leçon de Péguy. C’est quand tout semble perdu que la moisson arrive. « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt » 

 

>> à lire également : Communautés : oasis ou citadelles ?

 

Philippe Maxence

Philippe Maxence

Ce contenu pourrait vous intéresser

Éditorial

La grâce de l’identité chrétienne

Éditorial du Père Danziec | La terre qui nous a vu naître et grandir nous concerne dans la mesure où elle représente un cadre, une atmosphère, un climat même, qui ne font pas seulement que nous entourer, mais qui, bien plus encore, nous façonnent et nous élèvent, font notre identité.

+

identité chrétienne
ÉditorialLectures

Notre quinzaine : Quand lire est un enjeu pour l’avenir de l’humain

Éditorial de Philippe Maxence | Depuis des décennies, le niveau de lecture ne cesse de s’effondrer. Un basculement s’opère, signe d’un changement de civilisation. La galaxie Gutenberg s’éloigne et nous entrons dans un autre univers. Pourquoi, en effet, écrire, lire et travailler quand une machine est en mesure de remplir toutes ces tâches ? Le résultat ? Certes une vie facilitée, vision immédiate et très utilitariste, accélérée par cette passion qu’est la paresse, mais surtout une atrophie de nos capacités mentales et morales.

+

enfant albums lire
Éditorial

La sainteté, une folie raisonnable

L’Éditorial du Père Danziec | Avec la pédagogie qu’on lui connaît, l’Église, en ce début du mois de novembre, ne lie point par hasard la fête de la Toussaint avec celle de la commémoraison des fidèles défunts. Célébrer les saints qui, ici-bas, ont vécu en amis de Jésus et ont manifesté de manière significative la puissance de la victoire du Christ dans leur âme ; honorer les morts qui, entrés dans leur éternité, réclament nos prières pour se laisser, à leur tour et à la suite des saints, posséder par Dieu tout entier. Qu’est-ce que la sainteté, sinon d’aimer Dieu follement avec toute sa raison ?

+

saint Toussaint
ÉditorialAnnée du Christ-Roi

Se laisser conquérir par le Christ

Éditorial de Maitena Urbistondoy | Alors que nous achevons bientôt notre année de préparation du centenaire de l’encyclique Quas Primas, ce dimanche 26 octobre, le Missel de 1962 célèbre la fête du Christ-Roi. Cette royauté sociale que Pie XI réaffirme il y a un siècle n’a rien d’un concept théologique planant au-dessus de nos esprits ni d’un vœu pieux sans incidence sur nos vies. Refuser les droits du Christ sur la société, c’est nier qu’il existe un ordre supérieur à la volonté humaine. C’est toute la différence entre une justice fondée sur la vérité et une justice réduite à ce que les hommes décident d’appeler « juste ».

+

conquérir par le christ
Éditorial

Votre mission, si vous l’acceptez

Éditorial du Père Danziec | Dans son encyclique Redemptoris Missio, publiée en 1990, Jean-Paul II réaffirmait la valeur permanente du précepte missionnaire. En octobre 2025, le commandement vaut toujours. Un baptisé qui ne serait pas missionnaire ne pourrait se considérer comme un chrétien authentique.

+

mission
Éditorial

Notre quinzaine : cap sur notre 80e anniversaire !

Éditorial de Philippe Maxence | Cette fois la rentrée est bien faite, avec son lot de crises politiques, de manifestations et de blocages de la vie sociale. Pour L’Homme Nouveau, cette rentrée s’insère dans une perspective un peu particulière. Dans un peu plus d’un an, en effet, en décembre 2026 pour être précis, votre magazine célébrera son 80e anniversaire. C’est, en effet, en décembre 1946 que l’équipe des militants du mouvement « Pour l’unité », réunis autour du père Fillère et de l’abbé Richard, a lancé L’Homme Nouveau dans le but de servir la « seule cause de Dieu ».

+

anniversaire